Allemagne : Captivité de mon père - Lettres à ses parents
Au tout début, juste après sa capture, mon père fut torturé : 7 dents arrachées à vif. Il n'a pas parlé m'a-t-il dit.
Chaque prisonnier avait un nombre de cartes et de lettres très restreint. Mon père écrivait donc le plus possible en serrant le texte à son maximum. Donc aucune mise à la ligne comme ici.
Les premières lettres ne sont pas parvenues et il n'avait aucune nouvelle de ses parents.
Voici la première datée du 21-8-1940
Chers Parents ,
Je ne sais si vous avez reçu de mes nouvelles.
Je vous ai écrit 3 cartes et c'est la première lettre aujourd'hui. Je compte sur une réponse prochaine de votre part peut-être cette semaine ?
D'ailleurs voici les instructions que nous avons reçu à ce sujet :
Nous avons le droit d'écrire 3 fois par mois. Le 1er et le 10 une carte, le 21 une lettre.
Quant à vous, cela ne semble pas limité tant pour l'expédition de colis (5 kg) que de lettres (le tout en franchise et par poste). Surtout ayez soin d'écrire lisiblement l'adresse qui se trouve au dos.
Quant à moi, je vais très bien et suis en bonne santé. Je ne sais pas ce qui s'est passé depuis que je suis prisonnier.
J'espère que vous êtes toujours en bonne santé et à St Maixent c'est d'ailleurs là que je compte bien vous retrouver dès mon retour, car, quelle que soit la situation, j'ai déjà une fière chance, celle de ramener ma peau et de revenir indemne, chose que hélas tous mes camarades ne peuvent plus dire.
Par conséquent, ne vous inquiétez pas trop. Que Papa ne se fasse pas trop de souci, je suis jeune et je reviendrai à la maison et tout s'arrangera. J'ai encore 2 bras pour travailler.
Si vous pouvez m'expédier un colis...mais surtout ne vous privez pas trop pour moi. Mettez y....(lettre coupée par les gardes Allemands selon les dires de mon père).
21/09/1940 :
Enfin reçu de vos nouvelles avant-hier!
On m'a remis la lettre et la carte des 17 et 18 Août. Quel soulagement car voici presque 4 mois que je n'avais rien de vous. Toutes les suppositions m'étaient déjà passées par la tête aussi maintenant suis-je rassuré. Vous êtes tous en bonne santé et vivants!!! c'est l'essentiel.
Vous ne me dites pas si la région est occupée, presque certainement.
Je serais heureux également d'avoir des nouvelles des camarades St Maixentais, la plupart de ceux de mon régiment, j'ignore leur sort.
J'ai été fait prisonnier le 12 Juin à proximité de Château Thierry. Beaucoup de camarades y ont laissé leur peau. Moi je suis un homme veinard car je n'ai même pas une égratignure actuellement et je me porte à merveille.
Notes JP Floch: (Mon père a, entre autre, échappé aux éclats d'obus en enlaçant un arbre. Sa capote déchiquetée, ses gamelles transpercées et lui s'en est tiré grâce à l'arbre. Il a vu son meilleur ami décapité à côté de lui. Un autre éventré etc etc..)
Je travaille dans une fabrique de porcelaine comme tourneur. Nous y sommes bien traités, nous ne souhaitons plus qu'une chose tous, c'est le retour au bercail.
Aujourd'hui, Dimanche, j'ai le temps de songer toute la journée. J'envisage l'avenir bien entendu et, ma foi, je ne désespère pas à 22 ans, on se débrouille toujours. J'essaierai, sur concours, de rentrer dans l'administration. Sinon je me suis créé des relations pendant la guerre, et j'ai plusieurs adresses qui me permettront, je pense, de trouver une situation.
Quant à vous, je suppose que ça ne doit pas être drôle actuellement. La vie doit être chère et les ressources diminuent, mais ce n'est qu'un mauvais passage. Que Papa ne se tourmente pas trop, à mon retour je me débrouillerai bien.
1-12-1940 :
Chers parents,
J'ai reçu ces derniers jours votre lettre du 25-10. Elle m'a fait bien plaisir et m'a mis un peu au courant des nouvelles St Maixentaises. J'étais au courant des décès de Forest et Haraud puisqu'il étaient à mes côtés. Qu'est devenu Pineau?
Quant à moi, toujours en santé. Le moral aussi bon que possible, meilleur certainement le jour où je vous retrouverai tous. Et Papa, comment va-t-il? Je vous quitte pour ce soir en vous embrassant tous. Pierre.
24-1-1941
Chers parents,
Deux mots pour vous donner de mes nouvelles et vous rassurer sur mon sort.
Je suis toujours en bonne santé et vais tout à fait bien.
Je travaille toujours à la même fabrique de porcelaine et continue à faire mes traditionnelles soucoupes ; je commence à avoir le coup de main d'ailleurs, voici quelques dizaines de milliers que je sors. Ce n'est plus qu'une question de routine maintenant. C'est même fortement rasoir, croyez-moi.
Enfin on s'habitue à tout, il y a même bien plus malheureux que moi hélas.
D'ailleurs au printemps et pour des raisons spéciales, si c'est possible, je tâcherai de travailler à l'extérieur. Ce sera beaucoup plus intéressant que d'être toujours enfermé et plus sain.
Un petit stage dans la culture, par exemple. Ce sera une bonne occasion de m'instruire. On se souviendra longtemps de notre villégiature!
Enfin, j'espère qu'on sera quand même libéré suffisamment tôt pour ne pas sortir d'ici avec des cheveux blancs, quoique maintenant, on ne se fait plus d'illusions. Il ne reste plus qu'à nous résigner.
Envoyez moi si possible, dès que vous pourrez, car ma foi autant s'organiser : un des 2 pantalons de treillis que je dois avoir dans une de mes malles. Il faudra peut-être le raccourcir et le reprendre à la ceinture, joignez-y également loup de mer et une de mes deux chemisettes et serviette de toilette.
Donnez moi de vos nouvelles avec plus amples détails, la vie doit être dure actuellement en France, enfin, songeons toujours à ceux qui sont encore plus à plaindre que nous et Dieu sait s'il y en a!
Je vous quitte pour ce soir, je vous embrasse tous, Pierre.
Note JP Floch:
Logé dans un dortoir au dessus d'un dépôt d'essence (30.000 litres), il cherche à dégager au plus vite, craignant des bombardements alliés (janvier 1941).
Doué pour les langues et sachant que parler allemand pouvait lui sauver la vie, il avait appris l'allemand en 3 mois. Il pouvait ainsi comprendre ce que les allemands disaient et en informer les autres prisonniers....
01/02/41 :
Chers parents,
Rien de sensationnel ces jours-ci. Nous avons toujours beaucoup de neige dans le pays. C'est très joli d'ailleurs, malgré tout l'hiver commence à tirer à sa fin. Jusqu'à présent, nous n'en avons pas souffert.
J'espère que vous êtes toujours tous en bonne santé. Pour ce qui est de la question des colis, je les ai tous reçus et je vous en remercie. D'ailleurs j'ai déjà du le faire. Bonjour affectueux à tous. Pierre
21-2-1941 :
Chers parents,
Je fais réponse à votre dernière carte qui est du 31 Janvier.
D'après ce que vous me dites, à la maison, tout va bien, c'est l'essentiel. La santé, on s'en aperçoit d'ailleurs maintenant plus que jamais, c'est tout.
Je plains fort les gens maladifs et faibles surtout actuellement, car l'épreuve va encore être plus dure pour eux que pour nous.
Quant à moi, je me porte bien, nous menons une vie régulière qui est tout à fait saine, cependant j'attends avec impatience les beaux jours pour travailler au grand air, car malgré tout, être toujours enfermés dans une usine surchauffée, ce n'est pas intéressant.
D'ailleurs, j'ai toujours aimé les voyages et les changements. J'ai une occasion unique de rouler ma bosse. Je veux en profiter.
Vous seriez bien gentils de me donner quelques renseignements sur les camarades s/officiers comme moi, prisonniers en Allemagne, la vie qu'ils mènent etc..très probablement, ils ne doivent pas travailler car un décret nous en dispense, mais les journées paraîtraient interminables si je ne travaillais pas.
Si par hasard, des décrets visant les jeunes gens de ma situation, c'est à dire d'active pourraient m'intéresser, vous seriez bien aimables de me les écrire. A part cela, rien de changé. Je vous embrasse tous.
Notes Jean Paul Floch :
Lors d'un comptage de prisonniers dans cette usine, mon père a profité d'une inspection par un colonel Allemand et s'est avancé, empoigné aussitôt par des gardes.
Il a demandé à parler au Colonel, lequel l'a convoqué 1 heure après.
Il a alors expliqué qu'il perdait son temps à fabriquer des soucoupes de porcelaine et qu'il pourrait se rendre plus utile en exerçant ses compétences civiles d'ingénieur agronome (ce qui était faux bien entendu mais il savait que les alliés ne bombarderaient pas la campagne).
Interrogatoire poussé : Où avait-il obtenu son diplôme, expérience etc...
"A Alger" dit-il, sachant que les allemands ne pourraient pas vérifier.
Le lendemain lui était confié la gestion de prisonniers dans une ferme en Bavière. Il n'y connaissait rien du tout, et a repéré un prisonnier fiable qui lui a tout appris en douce.
21-4-41
Comme je vous l'ai annoncé précédemment, j'avais l'intentnion de changer de Kommando, j'ai réussi et actuellement, je suis perdu dans une petite ferme dans une charmante vallée. Il y a beaucoup de travail, mais je suis suffisamment bien bâti physiquement pour tenir le coup et il est bien plus sain de travailler au grand air pour la belle saison que de rester enfermé.
Que de cordes à mon arc en rentrant en France. Encore un nouveau métier dans mon sac. Bientôt les vaches et le boeufs n'auront plus de secrets pour moi. Au début, je n'étais pas si fier que ça, mais maintenant je suis accoutumé, et tout va bien.
Les journées passent plus vite que dans l'usine, mais pas encore assez vite à mon gré.
On a l'impression parfois d'être oubliés, on se demande si un jour on reverra notre beau pays. Combien la libération peut se faire attendre !
Quand redeviendrons nous civilisés ? Quel plaisir pour nous le jour où on pourra enfin manger de la cuisine française, entendre de la musique, revivre enfin car ce n'est pas une vie qu'on mène !
Toutes les sensations, tous les petits détails, tous les petits riens qui font la vie, on les ignore.
Enfin ! j'espère qu'un jour on en verra la fin.
Chers Parents, je vous quitte, à part cela, rien de sensationnel, la santé, toujours bonne. J'espère que pour vous il en est de même.
Je vous embrasse tous, bien affectueusement, Pierre.
26-4-1941 :
LETTRE PASSÉE PAR UN SOLDAT ALLEMAND
Un soldat allemand en permission dans le village où je travaille actuellement s'est proposé aimablement de vous faire parvenir cette lettre clandestinement.
Il est en garnison à Bordeaux et de ce fait, emprunte la ligne Tours-Poitiers-Angoulême-Bordeaux. Il serait donc question qu'il dépose cette lettre à la gare de Poitiers et de là, elle vous parviendra certainement, j'ignore de quelle façon.
Voici exactement ce qui se passe, je puis vous parler plus librement.
Depuis ma captivité, je n'ai pas trop souffert, sauf dans les débuts bien entendu.
J'ai séjourné 3 semaines au camp de Nuremberg où c'était loin d'être intéressant, et de là, j'ai été dirigé vers Weiden.
C'est un peu la loterie : 30 ici, 40 là où, question de chance, je suis bien tombé.
C'était donc dans une fabrique de porcelaine. Le travail n'était pas fatiguant, tout au moins le mien. Il consistait à fabriquer des assiettes et des soucoupes. Nous étions 60 bien nourris, enfin suffisamment, et logés convenablement.
En somme, j'aurais pu y rester jusqu'à la libération. Quoique le travail devenait monotone, au pied d'un tour toute la journée.
Cependant, ce n'est pas cela qui m'a fait partir car j'ai quitté la fabrique depuis le début d'avril. Ce qui n'a pas été sans difficultés, croyez le bien car on est loin de faire ce que l'on veut. Nous sommes prisonniers, je vous le rappelle.
Enfin je me suis débrouillé de telle façon que j'ai quand même réussi à partir.
Nous étions logés dans l'usine à 50 mètres de la gare d'une ville de 30.000 habitants, au dessus d'un dépôt d'essence. Vous devinez tout de suite la suite...Nous avons déjà eu des alertes contre avions cet hiver et je me suis dit une chose : si déjà nous avons des alertes en Janvier qu'est ce que cela sera au mois de mai! J'ai trop souffert des bombardements avant ma captivité, ça ne m'enchantais pas du tout. Et comme j'ai l'intention de revenir et de ne pas laisser ma peau dans ce triste pays, j'ai pris les devants et maintenant je suis délivré de cette obsession qui ne me quittait plus.
Je suis actuellement au Kommando 3238, dans une nouvelle ferme, car c'est la 2ème ferme que je fais, la première j'y suis resté 3 semaines et j'ai compris.
J'ai d'ailleurs maigri pendant ces 3 semaines. J'avais énormément de travail et j'étais loin de manger à ma faim. J'ai réussi également à changer et maintenant je suis dans un petit village situé entre Nuremberg et Weiden, toujours en Bavière.
Bien entendu, nous travaillons toute la journée chez le paysan et le soir, nous rentrons dans un même local pour dormir. Nous sommes seulement 9 dans ce petit Kommando, tous des types charmants : parisiens, poitevins, méridionaux etc.
Voici en quoi consiste mon travail : Réveil 5h 1/2 le temps de se vêtir et nous devons regagner nos fermes respectives. Arrivée dans les fermes à 6 heures.
Je suis très bien tombé actuellement, en ce sens que j'ai très peu de bêtes à m'occuper. Je n'ai que 2 bœufs. Les vaches et les veaux, c'est la soeur du patron qui s'en occupe, tandis que dans l'autre ferme, j'avais 18 bêtes à m'occuper, matin-midi et soir en rentrant des champs. Dans l'autre ferme, je faisais des journées de 16 heures en continu sans m'arrêter (juste 10 minutes pour manger).
Ici, je suis moins poussé au travail. J'ai comme patron, un jeune homme de 25 ans qui, ma foi, serait presque paresseux. Tant et si bien que pour l'instant, j'y ai trouvé une grosse différence, et en plus de cela, ici, j'ai la radio dans la ferme. Un petit poste, toujours Stuttgart mais enfin ça me permet quand même de manger en musique et vous savez que j'adore la musique.
J'ai l'impression de retrouver un peu de civilisation.
Donc, ne vous inquiétez pas pour ma santé. Jusqu'à présent, depuis ma captivité, j'ai tenu le coup. Vous me verrez revenir un jour, un peu vieilli naturellement, bruni avec des mains calleuses, mais maintenant ici, j'ai la certitude de revenir et puis, vous savez, je suis devenu assez philosophe comme beaucoup de mes camarades d'ailleurs.
J'ai cassé mes lunettes depuis quelques temps avec les bêtes. Je suis donc sans lunettes. Pour combien de temps ? je l'ignore peut-être jusqu'à la libération. Je suis allé en ville chez l'oculiste et opticien à la fois qui m'a pris soi-disant les numéros de verre. Tant et si bien qu'ils m'ont fait parvenir dans mon petit village aujourd'hui des lunettes avec lesquelles je ne vois rien du tout, enfin, ceci est un détail sans importance.
Passons à la question correspondance maintenant :
Dans le kommando où je suis actuellement 3238, nous avons une sentinelle qui est loin d'être francophile et qui fait tout pour nous ennuyer. Nous ne recevons plus les imprimés nous permettant de vous écrire régulièrement : donc : ne vous inquiétez pas si vous restez sans nouvelles un moment, c'est que je serai dans l'impossibilité de vous écrire. Pas de mauvais sang à mon sujet!
Comme pour la question des colis, ne tenez pas compte de la mention "Couleur bleu ou rouge", envoyez ce que vous voulez ça n'a aucune importance, n'ayez aucun scrupule.
Je ne vois pas autrement grand chose de sensationnel à vous raconter.
Du point de vue politique, nous sommes au courant seulement des grands évènements. N'étant informés que par eux bien entendu, ne connaissant que leurs succès, ignorant le reste. D'ailleurs vous, de ce moment, c'est vraisemblablement la même chose.
Enfin, notre plus cher désir à tous, c'est que la guerre se termine le plus vite possible car nous ne serons certainement pas libérés avant la fin, surtout moi qui suis de la classe 1938 et quand ? Tout le monde l'ignore. Le pire est à craindre dans cette guerre ultra-moderne.
Enfin, j'espère que malgré tout, en arrivant en France, j'aurai des possibilités de me faire une situation dans l'administration ou je ne sais quoi enfin, je me débrouillerai.
Que de choses on aura à se raconter au retour!
Il fait encore froid dans le pays puisqu'hier nous avons eu de la neige.
Ce soldat allemand qui vous fera parvenir cette lettre, m'a également pris en photo avec mes bœufs. Il vous en enverra un exemplaire, mais alors "motus" tout cela est formellement interdit. Ne montrez cette lettre à personne. Je vais en profiter également pour vous souhaiter une bonne fête Maman, Yves et Yvonne.
Pierre.
01-06-41
Bientôt un an que je suis prisonnier et toujours séparés de vous. Ah comme la libération se fait attendre.
C'est aujourd'hui la Pentecôte, une belle fête. Il fait beau, et pour nous, c'est toujours la même vie monotone. Enfin, espérons que l'année prochaine nous serons réunis.
On s'en souviendra longtemps de notre captivité.
A part cela, tout va bien, toujours en bonne santé, je tiens le coup.
J'espère qu'il en est de même pour vous.
Je vous embrasse tous, Pierre
21-6-41
Voici enfin les beaux jours, depuis 5 our 6 jours, nous avons un soleil spendide, il fait tès chaud et dans les champs, le soleil tape, croyez-moi. J'ai beaucoup bruni, pas besoin d'aller au bain de mer.
Les grands travaux ont commencé. Nous avons rentré les foin hier. J'ai déchargé 3 grosses charrettes. Enfin, l'essentiel, c'est que je me porte toujours très bien, c'est dur, parfois je suis très fatigué, mais malgré tout, travailler au grand air, c'est très sain, surtout que l'ari est très vif ici, étant dans la montagne.
Et puis ma fois, je me suis mis dans la tête de travailler en forme cet été pour des raisons personnelles, que vous n'êtes pas sans ignorer. Et ma foi, je suis têtu quand j'ai une idée dans la tête, je m'obstine et jusqu'à présent,je ne regrette pas.
Donc tout va bien, nous nous résignons lentement, la liberté viendra un jour, et ce jour là, ma foi, sera un des plus beaux jours de ma vie.
J'espère que vous êtes tous en bonne santé et que Papa voit avec joies les vacances approcher, vacances bien méritées d'ailleurs.
Il en aura bien besoin pour se reposer car l'année a dû être très pénible et Dieu sait si les soucis ne l'ont pas ménagé. Enfin ! Tout s'arrangera bien un jour.
Je vous quitte chers parents, je vous embrasse tous,
A bientôt peut-être. Pierre.
21-7-41
Je m'empresse d'accuser réception du colis contenant mes lunettes que j'ai reçu avant hier.
Je l'attendais avec impatience et je suis bien content de pouvoir enfin, maintenant, y voir clair. Elles me vont très bien. Il y a une légère différence avec la paire précédente. Celles ci ont les verres bombés alors que les autres avaient les verres plats, mais cela na aucune importance, j'y vois très bien, c'est l'essentiel.
Je vais vous demander de m'expédier dans les plus brefs délais, si cela est possible, car j'en ai bien besoin, une de mes paires de brodequins qui doivent encore se trouver à la maison, la plus grande est en meilleur état. Bien entendu, mettez des clous si possible. Les miennes sont complètement usées et je souffre beaucoup des pieds, étant pour ainsi dire dans l'eau tous les jours. Vous ajouterez à cela une de mes chemises (voir ma chemise scout).
A part cela, tout va bien. Je tiens le coup, je mange à ma faim et c'est l'essentiel. Tant que l'on a de l'appétit, en principe, on ne peut pas être malade.
J'espère que pour vous tout va bien. Vive les vacances pour vous, profitez en.
Bons baisers à tous, Pierre
21-08-41
Chers Parents,
Il est temps que je vous donne de mes nouvelles. Vous devez vous inquiéter parfois à mon sujet, et ma fois, point n'est besoin puisque tout va aussi bien que les circonstances le permettent.
La santé est bonne et je ne suis pas malade. Je tiens le coup, mais c'est très dur. Il y a du travail en quantité en ce moment. Nous faisons tout à la main. Je ne cesse pas de faucher et de lier.
J'ai bien mal au reins, le soir, enfin, il faut en prendre son parti. Je ne suis pas le seul, malheureusement.
Et dire que nous avons encore tout un hiver à passer vraisemblablement et peut-être une grosse partie de l'année prochaine.
Dans notre vie ténébreuse, le petit rayon de soleil qui est l'espoir du retour est la seule chose qui nous permette de tenir. Sans quoi, il serait impossible de mener une telle vie longtemps.
Pouvez vous me donner des nouvelles du Cdt Serre ainsi que du Cdt Jégo? Ils étaient avec moi le jour où j'ai été fait prisonnier. Le sont-ils également? Que sont-ils devenu ?
Mettez vous en relation avec eux si possible, j'aurai vraisemblablement besoin d'eux pour ma situation militaire par la suite.
Je vous quitte, chers parents, vous embrassant très affectueusement et pardonnez mon humeur morose d'aujourd'hui. Pierre.
1-09-1941 :
Chers parents,
Je vous accuse réception du colis que vous m'avez expédié dernièrement contenant une superbe paire de brodequins.
Je ne m'attendais pas à si beau, ils m'ont fait beaucoup de plaisir, car je souffrais terriblement des pieds et maintenant, je vais pouvoir aller à travers champs, dans le fumier, sans avoir les pieds mouillés et ensanglantés. Je vous embrasse tant. A quand ??
21-10-41
Chers parents,
J'accuse immédiatement réception du colis qui m'est parvenu ces jours derniers, contenant en totalité ce que j'avais demandé, c'est à dire bottes en caoutchouc, chausson, caleçons, chaussettes, gants.
Je vous remercie beaucoup, le tout me sera très précieux pour cet hiver, je dirais même indispensable.
J'ai eu une riche idée le jour où j'ai fait l'acquisition de ces bottes. Je les porte déjà et elles me seront très utiles et elles seront encore davantage lorsque la neige fera son apparition, c'est à dire incessamment, d'autant plus qu'il doit être impossible actuellement d'en trouver dans le commerce.
J'ai également une grande nouvelle à vous annoncer : J'ai terminé l'arrachage des pommes de terre. , c'est à dire, les travaux les plus pénibles que je n'avais encore jamais fait dans mon existence. Il ne me reste plus qu'à ensemencer, le blé, l'arrachage des betteraves et le labour et tout cela n'est qu'un jeu d'enfants pour quelqu'un d'expérimenté en la matière comme je le suis maintenant.
Le changement de n° de Kommando va vraisemblablement vous étonner, qu'il n'en soit rien! Nous sommes toujours au même endroit, nous avons seulement changé de sentinelle et de ce fait le n° a changé.
Je vous laisse, affectueux bonjour à tous, Pierre.
10-11-41
Je viens vous rassurer sur mon sort car j'ai peu que vous ne vous inquiétez à tort.
Je vais toujours bien. La santé se maintient bonne malgré le froid et la neige qui ont fait leur apparition ces derniers jours.
Depuis hier, la neige a disparue, en conséquence, je vais vraisemblablement labourer toute cette semaine et probablement la semaine prochaine si le temps le permet, et ma foi, ces travaux terminés, je ne vois plus rien à l'extérieur car le sole dans le pays est recouvert de neige pendant 3 ou 4 mois.
Donc, bientôt, il ne me restera plus qu'à travailler dans la ferme qui fait en même temps scierie. Mon principal travail consistera à aller chercher les troncs d'arbres dans les bois, les charger, les décharger et faire toutes les manoeuvres nécessaires pour les scier.
Je préfère la belle saison, le soleil, à ce temps triste. Les journées sont longues, interminables puisque voilà Noël qui approche et une fois de plus, nous serons séparés.
Espérons que pour le Noël 42, il n'en sera pas de même.
Chers parents, je vous quitte. J'epère que de votre côté, la santé est toujours bonne. Je vous embrasse tous, Pierre.
07-12-1941
Je n'ai rien de sensationnel à vous raconter. Je suis à nouveau en usine.
Je regrette énormément ma vie de campagnard. J'étais beaucoup plus heureux et le temps passait plus vite. Enfin, je ne puis rien y faire, il y a des jours, je suis totalement abruti.
Je pense à un tas de choses, ma tête ne cesse pas de travailler. Il est temps que cette vie lamentable prenne fin.
Je vous embrasse tous, Pierre.
14-12-1941
Chers Parents,
Je dois vous prévenir que vraisemblablement vous ne recevrez plus aussi régulièrement de mes nouvelles, car le privilège que j'avais dans le précédent Kommando, celui d'écrire en tant que s/officier 2 cartes et 1 lettre de + par mois, n'existe plus dans celui-ci.
Je suis toujours dans l'usine, mais j'ai dans ma tête de repartir en ferme, et <u>quand j'ai quelque chose en tête, j'arrive toujours à mes fins</u>.
Donc, ne vous inquiétez pas. Tôt ou tard, je serai de nouveau dans la nature.
Je vous embrasse tous. Meilleurs vœux Pierre.
28-02-1942
Chers Parents,
Je recopie correctement une lettre que je vous ai envoyée le 8 de ce mois qui ne pourra vous parvenir par suite d'une erreur de ma part, je me suis trompé de côté pour vous écrire.
Voici donc ce dont il était question :
J'ai réussi à changer de Komando et suis à nouveau en ferme.
Je suis très content, enfin autant que peut l'être un prisonnier, car son sort est loin d'être enviable, croyez moi.
C'est beaucoup plus intéressant pour moi à tous points de vue et la vie au grand air est beaucoup plus sain. Et en principe, je mangerai à ma faim.
Je suis chez des patrons sympathiques qui sont bons pour moi, et avec mes connaissances d'allemand, nous arrivons à nous comprendre très bien.
Je travaille maintenant avec 2 chevaux, et ai également beaucoup de machines à ma disposition : faucheuse, moissonneuse, herse etc.
Enfin, j'ai l'impression que je sortirai d'ici, cultivateur accompli, et on ne peut jamais savoir. Ces connaissances pourront peut-être me servir un jour.
Je répète ce que vous ai déjà dit, envoyez moi ma culotte de toile kaki ainsi que ma veste de treillis et tâchez de me trouver également pour cet été, chemisette, enfin loup de mer ou autres car je n'ai plus que 2 chemises et ma foi, en piteux état.
Mes dimanches entiers, je les passe à raccommoder.Nous parlons de choses et d'autres entre camarades et nous nous posons un tas de questions. Quelle sera la valeur de l'argent liquide au retour ? donc, il est préférable de transformer cet argent de suite en marchandises. Achetez moi donc, si vous trouvez, un poste TSF occasion ou neuf. Vous pourrez jouir aussi dès à présent de ma solde.
Si vous me trouvez également des stylos, porte monnaie,briquet etc, je n'ai plus rien. Conseillez moi, je vous quitte,
Je vous embrasse tous, Pierre.
28-02-1942
Chers Parents,
J'ai de nouveau changé de patron.
Je suis actuellement dans un bourg à proximité d'une grande ville. Toujours chez des paysans.
Beaucoup de travail en perspective, 3 chevaux, 8 vaches, 2 génisses et 4 veaux, mais les patrons sont sympathiques et la nourriture suffisante.
J'ai 15 camarades charmants, presque tous de mon âge, suis leur interprète et homme de confiance depuis hier. Je n'aurai pas le temps de m'ennuyer. J'ai reçu vos colis annoncés. Bons baisers, Pierre
29-03-1942
Chers Parents,
Je suis toujours en bonne santé, j'ai de nouveau bruni et ai de nouveau les mains calleuses, mais ça n'a pas d'importance.
Nous ressortirons bien un jour de ce pays et vous retrouverez des hommes, croyez moi, transformés, endurcis mais vieillis.
Je vous écrirai dimanche prochain une lettre, vous demandant de vous occuper de ma situation militaire, de mon avancement etc. C'est une chose indispensable.
Je vous souhaite bon courage.
Tout le monde en aura besoin cette année, cela va être très dur.
Je vous embrasse, Pierre
26/04/1942
Chers parents,
Me voici encore déplacé depuis hier. Dans la ferme où j'étais, ils ont reçu un ménage polonais, et de ce fait, j'ai été renvoyé en ville et travaille actuellement chez un jardinier.
J'y suis bien et travaille avec un autre français prisonnier comme moi.
Le temps semble moins long. Nous faisons cependant des journées de 14 heures et le soir nous rentrons au Kommando où nous sommes 25.
Je mange bien, enfin jusqu'aujourd'hui, c'est la vie de famille.
J'ai la radio, musique, deux chiens nous tiennent même compagnie à table, ce n'est pas toujours appétissant!
Pierre.
14-06-1942
Chers Parents,
J'ai de nouveau changé de patron, toujours dans le même Komando malgré cela, je suis chez un paysan toujours en ville, enfin aux limites de la ville.
J'ai déjà commencé les foins. Les durs travaux et j'en ai déjà trempé des chemises.
J'ai bien peur que ma correspondance et mes colis depuis mon départ ne se soient égarés. Redites moi donc, tout ce que vous m'avez déjà dit au sujet de ma situation.
Ah! Je vous quitte pour ce soir, je vous embrasse tous,
Pierre.
28-06/1942
Chers Parents,
Je viens de recevoir votre lettre du 8 Juin. J'ai répondu dans une de mes lettres précédentes au sujet de ma délégation de solde.
Pour ce qui est des 2 lettres interessantes, je ne les recevrai certainement plus maintenant. Elles sont perdues ainsi que mes colis.
Répétez moi donc à peu près exactement ce qu'elles contenaient, cela m'intéresse énormément. Je vais écrire dimanche prochain au Commandant Sère.
J'ai terminé les foins hier et je suis très content car c'est très fatigant.
Je vous embrasse tous, Pierre
5-07-1942
Chers Parents,
Je viens vous donner quelque peu de mes nouvelles.
Je suis toujours en bonne santé. J'ai une constitution robuste à toute épreuve, j'ai cette impression, je me suis énormément fortifié au point de vue musculaire. Je suis beaucoup plus fort que je n'étais, et un sac de 100 Kg ne m'effraie plus.
Le travail est incontestablement le sport le plus complet, par conséquent le meilleur.
La santé, c'est quelque chose de primordial surtout actuellement et ma foi je me porte très bien.
Je suis parfois bien fatigué, les journées sont longues mais quelques heures de sommeil sur une paillasse, pourtant me sont d'un précieux secours et me permettent d'attaquer la journée du lendemain frais et dispo.
Le colis de la Croix Rouge contenant vêtements de toile ne m'est jamais parvenu et je ne le recevrai plus maintenant.
Essayez donc de vous procurer si la chose est possible, c'est pour moi indispensable, un pantalon de travail usagé, ça n'a pas d'importance, gris, bleu, vert, ça m'est complètement égal. Fabriquez moi également 2 paires de chaussons avec semelles souples qui me serviront dans mes bottes, essayez de trouver également une gamelle et un quart, je n'ai rien et j'en ai besoin.
J'ai reçu un colis contenant veste de toile, chocolats etc. C'est très gentil. Expédiez vous mêmes les 2 lettres que j'ai écrite au Commandant Sère. Elles arriveront plus certainement.
Bons Baisers, Pierre.
23-08-1942
Chers Parents,
Rien de sensationnel. Tout va bien, je suis en excellente santé malgré les pénibles travaux qui nous sont imposés.
Voici 3 dimanches que je travaille, je n'ai pas seulement 3 heures de disponibles dans la semaine pour lire et raccomoder.
Tous les jours on dit que "le travail c'est la santé". Ici, c'est mis en application vous pouvez me croire. Je n'arrête pas. Avec 2 cornes, je ferais un animal parfait.
Je vous quitte, je vous embrasse, Pierre.
18/04/1943
Chers Parents,
Je suis toujours dans le même pays chez mes paysans, tout va aussi bien que possible.
La santé se maintient bonne malgré quelques maux d'estomac (à 25 ans!). Cela provient de ce qu'il faux toujours manger vite à midi principalement : 10 minutes 1/4 d'heure, pas plus et comme j'ai 7 dents en moins depuis déjà plus de 2 ans, je ne mâche pas très bien et cela m'est indigeste.
Enfin, c'est un détail.
Patience, comptons sur du nouveau incessamment.... Nous rendons visite aux caves. Pierre.
(suite plus tard. Merci de votre compréhension).
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Il a ensuite caché son grade de sous-officier et fut envoyé dans une fabrique de porcelaine en Allemagne.
Chaque prisonnier avait un nombre de cartes et de lettres très restreint. Mon père écrivait donc le plus possible en serrant le texte à son maximum. Donc aucune mise à la ligne comme ici.
Les premières lettres ne sont pas parvenues et il n'avait aucune nouvelle de ses parents.
Voici la première datée du 21-8-1940
Chers Parents ,
Je ne sais si vous avez reçu de mes nouvelles.
Je vous ai écrit 3 cartes et c'est la première lettre aujourd'hui. Je compte sur une réponse prochaine de votre part peut-être cette semaine ?
D'ailleurs voici les instructions que nous avons reçu à ce sujet :
Nous avons le droit d'écrire 3 fois par mois. Le 1er et le 10 une carte, le 21 une lettre.
Quant à vous, cela ne semble pas limité tant pour l'expédition de colis (5 kg) que de lettres (le tout en franchise et par poste). Surtout ayez soin d'écrire lisiblement l'adresse qui se trouve au dos.
Quant à moi, je vais très bien et suis en bonne santé. Je ne sais pas ce qui s'est passé depuis que je suis prisonnier.
J'espère que vous êtes toujours en bonne santé et à St Maixent c'est d'ailleurs là que je compte bien vous retrouver dès mon retour, car, quelle que soit la situation, j'ai déjà une fière chance, celle de ramener ma peau et de revenir indemne, chose que hélas tous mes camarades ne peuvent plus dire.
Par conséquent, ne vous inquiétez pas trop. Que Papa ne se fasse pas trop de souci, je suis jeune et je reviendrai à la maison et tout s'arrangera. J'ai encore 2 bras pour travailler.
Si vous pouvez m'expédier un colis...mais surtout ne vous privez pas trop pour moi. Mettez y....(lettre coupée par les gardes Allemands selon les dires de mon père).
21/09/1940 :
Enfin reçu de vos nouvelles avant-hier!
On m'a remis la lettre et la carte des 17 et 18 Août. Quel soulagement car voici presque 4 mois que je n'avais rien de vous. Toutes les suppositions m'étaient déjà passées par la tête aussi maintenant suis-je rassuré. Vous êtes tous en bonne santé et vivants!!! c'est l'essentiel.
Vous ne me dites pas si la région est occupée, presque certainement.
Je serais heureux également d'avoir des nouvelles des camarades St Maixentais, la plupart de ceux de mon régiment, j'ignore leur sort.
J'ai été fait prisonnier le 12 Juin à proximité de Château Thierry. Beaucoup de camarades y ont laissé leur peau. Moi je suis un homme veinard car je n'ai même pas une égratignure actuellement et je me porte à merveille.
Notes JP Floch: (Mon père a, entre autre, échappé aux éclats d'obus en enlaçant un arbre. Sa capote déchiquetée, ses gamelles transpercées et lui s'en est tiré grâce à l'arbre. Il a vu son meilleur ami décapité à côté de lui. Un autre éventré etc etc..)
Je travaille dans une fabrique de porcelaine comme tourneur. Nous y sommes bien traités, nous ne souhaitons plus qu'une chose tous, c'est le retour au bercail.
Aujourd'hui, Dimanche, j'ai le temps de songer toute la journée. J'envisage l'avenir bien entendu et, ma foi, je ne désespère pas à 22 ans, on se débrouille toujours. J'essaierai, sur concours, de rentrer dans l'administration. Sinon je me suis créé des relations pendant la guerre, et j'ai plusieurs adresses qui me permettront, je pense, de trouver une situation.
Quant à vous, je suppose que ça ne doit pas être drôle actuellement. La vie doit être chère et les ressources diminuent, mais ce n'est qu'un mauvais passage. Que Papa ne se tourmente pas trop, à mon retour je me débrouillerai bien.
1-12-1940 :
Chers parents,
J'ai reçu ces derniers jours votre lettre du 25-10. Elle m'a fait bien plaisir et m'a mis un peu au courant des nouvelles St Maixentaises. J'étais au courant des décès de Forest et Haraud puisqu'il étaient à mes côtés. Qu'est devenu Pineau?
Quant à moi, toujours en santé. Le moral aussi bon que possible, meilleur certainement le jour où je vous retrouverai tous. Et Papa, comment va-t-il? Je vous quitte pour ce soir en vous embrassant tous. Pierre.
24-1-1941
Chers parents,
Deux mots pour vous donner de mes nouvelles et vous rassurer sur mon sort.
Je suis toujours en bonne santé et vais tout à fait bien.
Je travaille toujours à la même fabrique de porcelaine et continue à faire mes traditionnelles soucoupes ; je commence à avoir le coup de main d'ailleurs, voici quelques dizaines de milliers que je sors. Ce n'est plus qu'une question de routine maintenant. C'est même fortement rasoir, croyez-moi.
Enfin on s'habitue à tout, il y a même bien plus malheureux que moi hélas.
D'ailleurs au printemps et pour des raisons spéciales, si c'est possible, je tâcherai de travailler à l'extérieur. Ce sera beaucoup plus intéressant que d'être toujours enfermé et plus sain.
Un petit stage dans la culture, par exemple. Ce sera une bonne occasion de m'instruire. On se souviendra longtemps de notre villégiature!
Enfin, j'espère qu'on sera quand même libéré suffisamment tôt pour ne pas sortir d'ici avec des cheveux blancs, quoique maintenant, on ne se fait plus d'illusions. Il ne reste plus qu'à nous résigner.
Envoyez moi si possible, dès que vous pourrez, car ma foi autant s'organiser : un des 2 pantalons de treillis que je dois avoir dans une de mes malles. Il faudra peut-être le raccourcir et le reprendre à la ceinture, joignez-y également loup de mer et une de mes deux chemisettes et serviette de toilette.
Donnez moi de vos nouvelles avec plus amples détails, la vie doit être dure actuellement en France, enfin, songeons toujours à ceux qui sont encore plus à plaindre que nous et Dieu sait s'il y en a!
Je vous quitte pour ce soir, je vous embrasse tous, Pierre.
Note JP Floch:
Logé dans un dortoir au dessus d'un dépôt d'essence (30.000 litres), il cherche à dégager au plus vite, craignant des bombardements alliés (janvier 1941).
Doué pour les langues et sachant que parler allemand pouvait lui sauver la vie, il avait appris l'allemand en 3 mois. Il pouvait ainsi comprendre ce que les allemands disaient et en informer les autres prisonniers....
01/02/41 :
Chers parents,
Rien de sensationnel ces jours-ci. Nous avons toujours beaucoup de neige dans le pays. C'est très joli d'ailleurs, malgré tout l'hiver commence à tirer à sa fin. Jusqu'à présent, nous n'en avons pas souffert.
J'espère que vous êtes toujours tous en bonne santé. Pour ce qui est de la question des colis, je les ai tous reçus et je vous en remercie. D'ailleurs j'ai déjà du le faire. Bonjour affectueux à tous. Pierre
21-2-1941 :
Chers parents,
Je fais réponse à votre dernière carte qui est du 31 Janvier.
D'après ce que vous me dites, à la maison, tout va bien, c'est l'essentiel. La santé, on s'en aperçoit d'ailleurs maintenant plus que jamais, c'est tout.
Je plains fort les gens maladifs et faibles surtout actuellement, car l'épreuve va encore être plus dure pour eux que pour nous.
Quant à moi, je me porte bien, nous menons une vie régulière qui est tout à fait saine, cependant j'attends avec impatience les beaux jours pour travailler au grand air, car malgré tout, être toujours enfermés dans une usine surchauffée, ce n'est pas intéressant.
D'ailleurs, j'ai toujours aimé les voyages et les changements. J'ai une occasion unique de rouler ma bosse. Je veux en profiter.
Vous seriez bien gentils de me donner quelques renseignements sur les camarades s/officiers comme moi, prisonniers en Allemagne, la vie qu'ils mènent etc..très probablement, ils ne doivent pas travailler car un décret nous en dispense, mais les journées paraîtraient interminables si je ne travaillais pas.
Si par hasard, des décrets visant les jeunes gens de ma situation, c'est à dire d'active pourraient m'intéresser, vous seriez bien aimables de me les écrire. A part cela, rien de changé. Je vous embrasse tous.
Notes Jean Paul Floch :
Lors d'un comptage de prisonniers dans cette usine, mon père a profité d'une inspection par un colonel Allemand et s'est avancé, empoigné aussitôt par des gardes.
Il a demandé à parler au Colonel, lequel l'a convoqué 1 heure après.
Il a alors expliqué qu'il perdait son temps à fabriquer des soucoupes de porcelaine et qu'il pourrait se rendre plus utile en exerçant ses compétences civiles d'ingénieur agronome (ce qui était faux bien entendu mais il savait que les alliés ne bombarderaient pas la campagne).
Interrogatoire poussé : Où avait-il obtenu son diplôme, expérience etc...
"A Alger" dit-il, sachant que les allemands ne pourraient pas vérifier.
Le lendemain lui était confié la gestion de prisonniers dans une ferme en Bavière. Il n'y connaissait rien du tout, et a repéré un prisonnier fiable qui lui a tout appris en douce.
21-4-41
Comme je vous l'ai annoncé précédemment, j'avais l'intentnion de changer de Kommando, j'ai réussi et actuellement, je suis perdu dans une petite ferme dans une charmante vallée. Il y a beaucoup de travail, mais je suis suffisamment bien bâti physiquement pour tenir le coup et il est bien plus sain de travailler au grand air pour la belle saison que de rester enfermé.
Que de cordes à mon arc en rentrant en France. Encore un nouveau métier dans mon sac. Bientôt les vaches et le boeufs n'auront plus de secrets pour moi. Au début, je n'étais pas si fier que ça, mais maintenant je suis accoutumé, et tout va bien.
Les journées passent plus vite que dans l'usine, mais pas encore assez vite à mon gré.
On a l'impression parfois d'être oubliés, on se demande si un jour on reverra notre beau pays. Combien la libération peut se faire attendre !
Quand redeviendrons nous civilisés ? Quel plaisir pour nous le jour où on pourra enfin manger de la cuisine française, entendre de la musique, revivre enfin car ce n'est pas une vie qu'on mène !
Toutes les sensations, tous les petits détails, tous les petits riens qui font la vie, on les ignore.
Enfin ! j'espère qu'un jour on en verra la fin.
Chers Parents, je vous quitte, à part cela, rien de sensationnel, la santé, toujours bonne. J'espère que pour vous il en est de même.
Je vous embrasse tous, bien affectueusement, Pierre.
26-4-1941 :
LETTRE PASSÉE PAR UN SOLDAT ALLEMAND
Un soldat allemand en permission dans le village où je travaille actuellement s'est proposé aimablement de vous faire parvenir cette lettre clandestinement.
Il est en garnison à Bordeaux et de ce fait, emprunte la ligne Tours-Poitiers-Angoulême-Bordeaux. Il serait donc question qu'il dépose cette lettre à la gare de Poitiers et de là, elle vous parviendra certainement, j'ignore de quelle façon.
Voici exactement ce qui se passe, je puis vous parler plus librement.
Depuis ma captivité, je n'ai pas trop souffert, sauf dans les débuts bien entendu.
J'ai séjourné 3 semaines au camp de Nuremberg où c'était loin d'être intéressant, et de là, j'ai été dirigé vers Weiden.
C'est un peu la loterie : 30 ici, 40 là où, question de chance, je suis bien tombé.
C'était donc dans une fabrique de porcelaine. Le travail n'était pas fatiguant, tout au moins le mien. Il consistait à fabriquer des assiettes et des soucoupes. Nous étions 60 bien nourris, enfin suffisamment, et logés convenablement.
En somme, j'aurais pu y rester jusqu'à la libération. Quoique le travail devenait monotone, au pied d'un tour toute la journée.
Cependant, ce n'est pas cela qui m'a fait partir car j'ai quitté la fabrique depuis le début d'avril. Ce qui n'a pas été sans difficultés, croyez le bien car on est loin de faire ce que l'on veut. Nous sommes prisonniers, je vous le rappelle.
Enfin je me suis débrouillé de telle façon que j'ai quand même réussi à partir.
Nous étions logés dans l'usine à 50 mètres de la gare d'une ville de 30.000 habitants, au dessus d'un dépôt d'essence. Vous devinez tout de suite la suite...Nous avons déjà eu des alertes contre avions cet hiver et je me suis dit une chose : si déjà nous avons des alertes en Janvier qu'est ce que cela sera au mois de mai! J'ai trop souffert des bombardements avant ma captivité, ça ne m'enchantais pas du tout. Et comme j'ai l'intention de revenir et de ne pas laisser ma peau dans ce triste pays, j'ai pris les devants et maintenant je suis délivré de cette obsession qui ne me quittait plus.
Je suis actuellement au Kommando 3238, dans une nouvelle ferme, car c'est la 2ème ferme que je fais, la première j'y suis resté 3 semaines et j'ai compris.
J'ai d'ailleurs maigri pendant ces 3 semaines. J'avais énormément de travail et j'étais loin de manger à ma faim. J'ai réussi également à changer et maintenant je suis dans un petit village situé entre Nuremberg et Weiden, toujours en Bavière.
Bien entendu, nous travaillons toute la journée chez le paysan et le soir, nous rentrons dans un même local pour dormir. Nous sommes seulement 9 dans ce petit Kommando, tous des types charmants : parisiens, poitevins, méridionaux etc.
Voici en quoi consiste mon travail : Réveil 5h 1/2 le temps de se vêtir et nous devons regagner nos fermes respectives. Arrivée dans les fermes à 6 heures.
Je suis très bien tombé actuellement, en ce sens que j'ai très peu de bêtes à m'occuper. Je n'ai que 2 bœufs. Les vaches et les veaux, c'est la soeur du patron qui s'en occupe, tandis que dans l'autre ferme, j'avais 18 bêtes à m'occuper, matin-midi et soir en rentrant des champs. Dans l'autre ferme, je faisais des journées de 16 heures en continu sans m'arrêter (juste 10 minutes pour manger).
Ici, je suis moins poussé au travail. J'ai comme patron, un jeune homme de 25 ans qui, ma foi, serait presque paresseux. Tant et si bien que pour l'instant, j'y ai trouvé une grosse différence, et en plus de cela, ici, j'ai la radio dans la ferme. Un petit poste, toujours Stuttgart mais enfin ça me permet quand même de manger en musique et vous savez que j'adore la musique.
J'ai l'impression de retrouver un peu de civilisation.
Donc, ne vous inquiétez pas pour ma santé. Jusqu'à présent, depuis ma captivité, j'ai tenu le coup. Vous me verrez revenir un jour, un peu vieilli naturellement, bruni avec des mains calleuses, mais maintenant ici, j'ai la certitude de revenir et puis, vous savez, je suis devenu assez philosophe comme beaucoup de mes camarades d'ailleurs.
J'ai cassé mes lunettes depuis quelques temps avec les bêtes. Je suis donc sans lunettes. Pour combien de temps ? je l'ignore peut-être jusqu'à la libération. Je suis allé en ville chez l'oculiste et opticien à la fois qui m'a pris soi-disant les numéros de verre. Tant et si bien qu'ils m'ont fait parvenir dans mon petit village aujourd'hui des lunettes avec lesquelles je ne vois rien du tout, enfin, ceci est un détail sans importance.
Passons à la question correspondance maintenant :
Dans le kommando où je suis actuellement 3238, nous avons une sentinelle qui est loin d'être francophile et qui fait tout pour nous ennuyer. Nous ne recevons plus les imprimés nous permettant de vous écrire régulièrement : donc : ne vous inquiétez pas si vous restez sans nouvelles un moment, c'est que je serai dans l'impossibilité de vous écrire. Pas de mauvais sang à mon sujet!
Comme pour la question des colis, ne tenez pas compte de la mention "Couleur bleu ou rouge", envoyez ce que vous voulez ça n'a aucune importance, n'ayez aucun scrupule.
Je ne vois pas autrement grand chose de sensationnel à vous raconter.
Du point de vue politique, nous sommes au courant seulement des grands évènements. N'étant informés que par eux bien entendu, ne connaissant que leurs succès, ignorant le reste. D'ailleurs vous, de ce moment, c'est vraisemblablement la même chose.
Enfin, notre plus cher désir à tous, c'est que la guerre se termine le plus vite possible car nous ne serons certainement pas libérés avant la fin, surtout moi qui suis de la classe 1938 et quand ? Tout le monde l'ignore. Le pire est à craindre dans cette guerre ultra-moderne.
Enfin, j'espère que malgré tout, en arrivant en France, j'aurai des possibilités de me faire une situation dans l'administration ou je ne sais quoi enfin, je me débrouillerai.
Que de choses on aura à se raconter au retour!
Il fait encore froid dans le pays puisqu'hier nous avons eu de la neige.
Ce soldat allemand qui vous fera parvenir cette lettre, m'a également pris en photo avec mes bœufs. Il vous en enverra un exemplaire, mais alors "motus" tout cela est formellement interdit. Ne montrez cette lettre à personne. Je vais en profiter également pour vous souhaiter une bonne fête Maman, Yves et Yvonne.
Pierre.
01-06-41
Bientôt un an que je suis prisonnier et toujours séparés de vous. Ah comme la libération se fait attendre.
C'est aujourd'hui la Pentecôte, une belle fête. Il fait beau, et pour nous, c'est toujours la même vie monotone. Enfin, espérons que l'année prochaine nous serons réunis.
On s'en souviendra longtemps de notre captivité.
A part cela, tout va bien, toujours en bonne santé, je tiens le coup.
J'espère qu'il en est de même pour vous.
Je vous embrasse tous, Pierre
21-6-41
Voici enfin les beaux jours, depuis 5 our 6 jours, nous avons un soleil spendide, il fait tès chaud et dans les champs, le soleil tape, croyez-moi. J'ai beaucoup bruni, pas besoin d'aller au bain de mer.
Les grands travaux ont commencé. Nous avons rentré les foin hier. J'ai déchargé 3 grosses charrettes. Enfin, l'essentiel, c'est que je me porte toujours très bien, c'est dur, parfois je suis très fatigué, mais malgré tout, travailler au grand air, c'est très sain, surtout que l'ari est très vif ici, étant dans la montagne.
Et puis ma fois, je me suis mis dans la tête de travailler en forme cet été pour des raisons personnelles, que vous n'êtes pas sans ignorer. Et ma foi, je suis têtu quand j'ai une idée dans la tête, je m'obstine et jusqu'à présent,je ne regrette pas.
Donc tout va bien, nous nous résignons lentement, la liberté viendra un jour, et ce jour là, ma foi, sera un des plus beaux jours de ma vie.
J'espère que vous êtes tous en bonne santé et que Papa voit avec joies les vacances approcher, vacances bien méritées d'ailleurs.
Il en aura bien besoin pour se reposer car l'année a dû être très pénible et Dieu sait si les soucis ne l'ont pas ménagé. Enfin ! Tout s'arrangera bien un jour.
Je vous quitte chers parents, je vous embrasse tous,
A bientôt peut-être. Pierre.
21-7-41
Je m'empresse d'accuser réception du colis contenant mes lunettes que j'ai reçu avant hier.
Je l'attendais avec impatience et je suis bien content de pouvoir enfin, maintenant, y voir clair. Elles me vont très bien. Il y a une légère différence avec la paire précédente. Celles ci ont les verres bombés alors que les autres avaient les verres plats, mais cela na aucune importance, j'y vois très bien, c'est l'essentiel.
Je vais vous demander de m'expédier dans les plus brefs délais, si cela est possible, car j'en ai bien besoin, une de mes paires de brodequins qui doivent encore se trouver à la maison, la plus grande est en meilleur état. Bien entendu, mettez des clous si possible. Les miennes sont complètement usées et je souffre beaucoup des pieds, étant pour ainsi dire dans l'eau tous les jours. Vous ajouterez à cela une de mes chemises (voir ma chemise scout).
A part cela, tout va bien. Je tiens le coup, je mange à ma faim et c'est l'essentiel. Tant que l'on a de l'appétit, en principe, on ne peut pas être malade.
J'espère que pour vous tout va bien. Vive les vacances pour vous, profitez en.
Bons baisers à tous, Pierre
21-08-41
Chers Parents,
Il est temps que je vous donne de mes nouvelles. Vous devez vous inquiéter parfois à mon sujet, et ma fois, point n'est besoin puisque tout va aussi bien que les circonstances le permettent.
La santé est bonne et je ne suis pas malade. Je tiens le coup, mais c'est très dur. Il y a du travail en quantité en ce moment. Nous faisons tout à la main. Je ne cesse pas de faucher et de lier.
J'ai bien mal au reins, le soir, enfin, il faut en prendre son parti. Je ne suis pas le seul, malheureusement.
Et dire que nous avons encore tout un hiver à passer vraisemblablement et peut-être une grosse partie de l'année prochaine.
Dans notre vie ténébreuse, le petit rayon de soleil qui est l'espoir du retour est la seule chose qui nous permette de tenir. Sans quoi, il serait impossible de mener une telle vie longtemps.
Pouvez vous me donner des nouvelles du Cdt Serre ainsi que du Cdt Jégo? Ils étaient avec moi le jour où j'ai été fait prisonnier. Le sont-ils également? Que sont-ils devenu ?
Mettez vous en relation avec eux si possible, j'aurai vraisemblablement besoin d'eux pour ma situation militaire par la suite.
Je vous quitte, chers parents, vous embrassant très affectueusement et pardonnez mon humeur morose d'aujourd'hui. Pierre.
1-09-1941 :
Chers parents,
Je vous accuse réception du colis que vous m'avez expédié dernièrement contenant une superbe paire de brodequins.
Je ne m'attendais pas à si beau, ils m'ont fait beaucoup de plaisir, car je souffrais terriblement des pieds et maintenant, je vais pouvoir aller à travers champs, dans le fumier, sans avoir les pieds mouillés et ensanglantés. Je vous embrasse tant. A quand ??
21-10-41
Chers parents,
J'accuse immédiatement réception du colis qui m'est parvenu ces jours derniers, contenant en totalité ce que j'avais demandé, c'est à dire bottes en caoutchouc, chausson, caleçons, chaussettes, gants.
Je vous remercie beaucoup, le tout me sera très précieux pour cet hiver, je dirais même indispensable.
J'ai eu une riche idée le jour où j'ai fait l'acquisition de ces bottes. Je les porte déjà et elles me seront très utiles et elles seront encore davantage lorsque la neige fera son apparition, c'est à dire incessamment, d'autant plus qu'il doit être impossible actuellement d'en trouver dans le commerce.
J'ai également une grande nouvelle à vous annoncer : J'ai terminé l'arrachage des pommes de terre. , c'est à dire, les travaux les plus pénibles que je n'avais encore jamais fait dans mon existence. Il ne me reste plus qu'à ensemencer, le blé, l'arrachage des betteraves et le labour et tout cela n'est qu'un jeu d'enfants pour quelqu'un d'expérimenté en la matière comme je le suis maintenant.
Le changement de n° de Kommando va vraisemblablement vous étonner, qu'il n'en soit rien! Nous sommes toujours au même endroit, nous avons seulement changé de sentinelle et de ce fait le n° a changé.
Je vous laisse, affectueux bonjour à tous, Pierre.
10-11-41
Je viens vous rassurer sur mon sort car j'ai peu que vous ne vous inquiétez à tort.
Je vais toujours bien. La santé se maintient bonne malgré le froid et la neige qui ont fait leur apparition ces derniers jours.
Depuis hier, la neige a disparue, en conséquence, je vais vraisemblablement labourer toute cette semaine et probablement la semaine prochaine si le temps le permet, et ma foi, ces travaux terminés, je ne vois plus rien à l'extérieur car le sole dans le pays est recouvert de neige pendant 3 ou 4 mois.
Donc, bientôt, il ne me restera plus qu'à travailler dans la ferme qui fait en même temps scierie. Mon principal travail consistera à aller chercher les troncs d'arbres dans les bois, les charger, les décharger et faire toutes les manoeuvres nécessaires pour les scier.
Je préfère la belle saison, le soleil, à ce temps triste. Les journées sont longues, interminables puisque voilà Noël qui approche et une fois de plus, nous serons séparés.
Espérons que pour le Noël 42, il n'en sera pas de même.
Chers parents, je vous quitte. J'epère que de votre côté, la santé est toujours bonne. Je vous embrasse tous, Pierre.
07-12-1941
Je n'ai rien de sensationnel à vous raconter. Je suis à nouveau en usine.
Je regrette énormément ma vie de campagnard. J'étais beaucoup plus heureux et le temps passait plus vite. Enfin, je ne puis rien y faire, il y a des jours, je suis totalement abruti.
Je pense à un tas de choses, ma tête ne cesse pas de travailler. Il est temps que cette vie lamentable prenne fin.
Je vous embrasse tous, Pierre.
14-12-1941
Chers Parents,
Je dois vous prévenir que vraisemblablement vous ne recevrez plus aussi régulièrement de mes nouvelles, car le privilège que j'avais dans le précédent Kommando, celui d'écrire en tant que s/officier 2 cartes et 1 lettre de + par mois, n'existe plus dans celui-ci.
Je suis toujours dans l'usine, mais j'ai dans ma tête de repartir en ferme, et <u>quand j'ai quelque chose en tête, j'arrive toujours à mes fins</u>.
Donc, ne vous inquiétez pas. Tôt ou tard, je serai de nouveau dans la nature.
Je vous embrasse tous. Meilleurs vœux Pierre.
28-02-1942
Chers Parents,
Je recopie correctement une lettre que je vous ai envoyée le 8 de ce mois qui ne pourra vous parvenir par suite d'une erreur de ma part, je me suis trompé de côté pour vous écrire.
Voici donc ce dont il était question :
J'ai réussi à changer de Komando et suis à nouveau en ferme.
Je suis très content, enfin autant que peut l'être un prisonnier, car son sort est loin d'être enviable, croyez moi.
C'est beaucoup plus intéressant pour moi à tous points de vue et la vie au grand air est beaucoup plus sain. Et en principe, je mangerai à ma faim.
Je suis chez des patrons sympathiques qui sont bons pour moi, et avec mes connaissances d'allemand, nous arrivons à nous comprendre très bien.
Je travaille maintenant avec 2 chevaux, et ai également beaucoup de machines à ma disposition : faucheuse, moissonneuse, herse etc.
Enfin, j'ai l'impression que je sortirai d'ici, cultivateur accompli, et on ne peut jamais savoir. Ces connaissances pourront peut-être me servir un jour.
Je répète ce que vous ai déjà dit, envoyez moi ma culotte de toile kaki ainsi que ma veste de treillis et tâchez de me trouver également pour cet été, chemisette, enfin loup de mer ou autres car je n'ai plus que 2 chemises et ma foi, en piteux état.
Mes dimanches entiers, je les passe à raccommoder.Nous parlons de choses et d'autres entre camarades et nous nous posons un tas de questions. Quelle sera la valeur de l'argent liquide au retour ? donc, il est préférable de transformer cet argent de suite en marchandises. Achetez moi donc, si vous trouvez, un poste TSF occasion ou neuf. Vous pourrez jouir aussi dès à présent de ma solde.
Si vous me trouvez également des stylos, porte monnaie,briquet etc, je n'ai plus rien. Conseillez moi, je vous quitte,
Je vous embrasse tous, Pierre.
28-02-1942
Chers Parents,
J'ai de nouveau changé de patron.
Je suis actuellement dans un bourg à proximité d'une grande ville. Toujours chez des paysans.
Beaucoup de travail en perspective, 3 chevaux, 8 vaches, 2 génisses et 4 veaux, mais les patrons sont sympathiques et la nourriture suffisante.
J'ai 15 camarades charmants, presque tous de mon âge, suis leur interprète et homme de confiance depuis hier. Je n'aurai pas le temps de m'ennuyer. J'ai reçu vos colis annoncés. Bons baisers, Pierre
29-03-1942
Chers Parents,
Je suis toujours en bonne santé, j'ai de nouveau bruni et ai de nouveau les mains calleuses, mais ça n'a pas d'importance.
Nous ressortirons bien un jour de ce pays et vous retrouverez des hommes, croyez moi, transformés, endurcis mais vieillis.
Je vous écrirai dimanche prochain une lettre, vous demandant de vous occuper de ma situation militaire, de mon avancement etc. C'est une chose indispensable.
Je vous souhaite bon courage.
Tout le monde en aura besoin cette année, cela va être très dur.
Je vous embrasse, Pierre
26/04/1942
Chers parents,
Me voici encore déplacé depuis hier. Dans la ferme où j'étais, ils ont reçu un ménage polonais, et de ce fait, j'ai été renvoyé en ville et travaille actuellement chez un jardinier.
J'y suis bien et travaille avec un autre français prisonnier comme moi.
Le temps semble moins long. Nous faisons cependant des journées de 14 heures et le soir nous rentrons au Kommando où nous sommes 25.
Je mange bien, enfin jusqu'aujourd'hui, c'est la vie de famille.
J'ai la radio, musique, deux chiens nous tiennent même compagnie à table, ce n'est pas toujours appétissant!
Pierre.
14-06-1942
Chers Parents,
J'ai de nouveau changé de patron, toujours dans le même Komando malgré cela, je suis chez un paysan toujours en ville, enfin aux limites de la ville.
J'ai déjà commencé les foins. Les durs travaux et j'en ai déjà trempé des chemises.
J'ai bien peur que ma correspondance et mes colis depuis mon départ ne se soient égarés. Redites moi donc, tout ce que vous m'avez déjà dit au sujet de ma situation.
Ah! Je vous quitte pour ce soir, je vous embrasse tous,
Pierre.
28-06/1942
Chers Parents,
Je viens de recevoir votre lettre du 8 Juin. J'ai répondu dans une de mes lettres précédentes au sujet de ma délégation de solde.
Pour ce qui est des 2 lettres interessantes, je ne les recevrai certainement plus maintenant. Elles sont perdues ainsi que mes colis.
Répétez moi donc à peu près exactement ce qu'elles contenaient, cela m'intéresse énormément. Je vais écrire dimanche prochain au Commandant Sère.
J'ai terminé les foins hier et je suis très content car c'est très fatigant.
Je vous embrasse tous, Pierre
5-07-1942
Chers Parents,
Je viens vous donner quelque peu de mes nouvelles.
Je suis toujours en bonne santé. J'ai une constitution robuste à toute épreuve, j'ai cette impression, je me suis énormément fortifié au point de vue musculaire. Je suis beaucoup plus fort que je n'étais, et un sac de 100 Kg ne m'effraie plus.
Le travail est incontestablement le sport le plus complet, par conséquent le meilleur.
La santé, c'est quelque chose de primordial surtout actuellement et ma foi je me porte très bien.
Je suis parfois bien fatigué, les journées sont longues mais quelques heures de sommeil sur une paillasse, pourtant me sont d'un précieux secours et me permettent d'attaquer la journée du lendemain frais et dispo.
Le colis de la Croix Rouge contenant vêtements de toile ne m'est jamais parvenu et je ne le recevrai plus maintenant.
Essayez donc de vous procurer si la chose est possible, c'est pour moi indispensable, un pantalon de travail usagé, ça n'a pas d'importance, gris, bleu, vert, ça m'est complètement égal. Fabriquez moi également 2 paires de chaussons avec semelles souples qui me serviront dans mes bottes, essayez de trouver également une gamelle et un quart, je n'ai rien et j'en ai besoin.
J'ai reçu un colis contenant veste de toile, chocolats etc. C'est très gentil. Expédiez vous mêmes les 2 lettres que j'ai écrite au Commandant Sère. Elles arriveront plus certainement.
Bons Baisers, Pierre.
23-08-1942
Chers Parents,
Rien de sensationnel. Tout va bien, je suis en excellente santé malgré les pénibles travaux qui nous sont imposés.
Voici 3 dimanches que je travaille, je n'ai pas seulement 3 heures de disponibles dans la semaine pour lire et raccomoder.
Tous les jours on dit que "le travail c'est la santé". Ici, c'est mis en application vous pouvez me croire. Je n'arrête pas. Avec 2 cornes, je ferais un animal parfait.
Je vous quitte, je vous embrasse, Pierre.
18/04/1943
Chers Parents,
Je suis toujours dans le même pays chez mes paysans, tout va aussi bien que possible.
La santé se maintient bonne malgré quelques maux d'estomac (à 25 ans!). Cela provient de ce qu'il faux toujours manger vite à midi principalement : 10 minutes 1/4 d'heure, pas plus et comme j'ai 7 dents en moins depuis déjà plus de 2 ans, je ne mâche pas très bien et cela m'est indigeste.
Enfin, c'est un détail.
Patience, comptons sur du nouveau incessamment.... Nous rendons visite aux caves. Pierre.
(suite plus tard. Merci de votre compréhension).