Allemagne : Captivité de mon père - Lettres à ses parents
Mon père, engagé militaire le 5 mai 1936 a combattu réellement sur la Marne les 11 et 12 juin 1940 et fait prisonnier pour ensuite travailler dans une usine de porcelaine en Bavière.
Sachant que cela pouvait lui sauver la vie, il avait apris l'allemand en 3 mois. Il pouvait ainsi comprendre ce que les allemands disaient et en informer les autres prisonniers.
Sachant que cela pouvait lui sauver la vie, il avait apris l'allemand en 3 mois. Il pouvait ainsi comprendre ce que les allemands disaient et en informer les autres prisonniers.
Chaque prisonnier avait un nombre de cartes et de lettres très restreint. Mon père écrivait donc le plus possible en serrant le texte à son maximum. Donc aucune mise à la ligne comme ici.
Les premières lettres ne sont pas parvenues et il n'avait aucune nouvelle de ses parents.
Voici la première datée du 21-8-1940
Chers Parents ,
Je ne sais si vous avez reçu de mes nouvelles.
Je vous ai écrit 3 cartes et c'est la première lettre aujourd'hui. Je compte sur une réponse prochaine de votre part peut-être cette semaine ?
D'ailleurs voici les instructions que nous avons reçu à ce sujet :
Nous avons le droit d'écrire 3 fois par mois. Le 1er et le 10 une carte, le 21 une lettre.
Quant à vous, cela ne semble pas limité tant pour l'expédition de colis (5 kg) que de lettres (le tout en franchise et par poste). Surtout ayez soin d'écrire lisiblement l'adresse qui se trouve au dos.
Quant à moi, je vais très bien et suis en bonne santé. Je ne sais pas ce qui s'est passé depuis que je suis prisonnier.
J'espère que vous êtes toujours en bonne santé et à St Maixent c'est d'ailleurs là que je compte bien vous retrouver dès mon retour, car, quelle que soit la situation, j'ai déjà une fière chance, celle de ramener ma peau et de revenir indemne, chose que hélas tous mes camarades ne peuvent plus dire.
Par conséquent, ne vous inquiétez pas trop. Que Papa ne se fasse pas trop de souci, je suis jeune et je reviendrai à la maison et tout s'arrangera. J'ai encore 2 bras pour travailler.
Si vous pouvez m'expédier un colis...mais surtout ne vous privez pas trop pour moi. Mettez y....(lettre coupée par les gardes Allemands selon les dires de mon père).
21/09/1940 :
Enfin reçu de vos nouvelles avant-hier!
On m'a remis la lettre et la carte des 17 et 18 Août. Quel soulagement car voici presque 4 mois que je n'avais rien de vous. Toutes les suppositions m'étaient déjà passées par la tête aussi maintenant suis-je rassuré. Vous êtes tous en bonne santé et vivants!!! c'est l'essentiel.
Vous ne me dites pas si la région est occupée, presque certainement.
Je serais heureux également d'avoir des nouvelles des camarades St Maixentais, la plupart de ceux de mon régiment, j'ignore leur sort.
J'ai été fait prisonnier le 12 Juin à proximité de Château Thierry. Beaucoup de camarades y ont laissé leur peau. Moi je suis un homme veinard car je n'ai même pas une égratignure actuellement et je me porte à merveille.
Je travaille dans une fabrique de porcelaine comme tourneur. Nous y sommes bien traités, nous ne souhaitons plus qu'une chose tous, c'est le retour au bercail.
Aujourd'hui, Dimanche, j'ai le temps de songer toute la journée. J'envisage l'avenir bien entendu et, ma foi, je ne désespère pas à 22 ans, on se débrouille toujours. J'essaierai, sur concours, de rentrer dans l'administration. Sinon je me suis créé des relations pendant la guerre, et j'ai plusieurs adresses qui me permettront, je pense, de trouver une situation.
Quant à vous, je suppose que ça ne doit pas être drôle actuellement. La vie doit être chère et les ressources diminuent, mais ce n'est qu'un mauvais passage. Que Papa ne se tourmente pas trop, à mon retour je me débrouillerai bien.
Je vous embrasse tous
Pierre
Notes JP Floch: Mon père a, entre autre, échappé aux éclats d'obus en enlaçant un arbre. Sa capote déchiquetée, ses gamelles transpercées et lui s'en est tiré grâce à l'arbre. Il a vu son meilleur ami, le prêtre Colas des Francs décapité à côté de lui. Un autre éventré etc etc..
01-12-1940 :
Chers parents,
J'ai reçu ces derniers jours votre lettre du 25-10. Elle m'a fait bien plaisir et m'a mis un peu au courant des nouvelles St Maixentaises. J'étais au courant des décès de Forest et Haraud puisqu'il étaient à mes côtés. Qu'est devenu Pineau?
Quant à moi, toujours en santé. Le moral aussi bon que possible, meilleur certainement le jour où je vous retrouverai tous. Et Papa, comment va-t-il? Je vous quitte pour ce soir en vous embrassant tous. Pierre.
24-01-1941
Chers parents,
Deux mots pour vous donner de mes nouvelles et vous rassurer sur mon sort.
Je suis toujours en bonne santé et vais tout à fait bien.
Je travaille toujours à la même fabrique de porcelaine et continue à faire mes traditionnelles soucoupes ; je commence à avoir le coup de main d'ailleurs, voici quelques dizaines de milliers que je sors. Ce n'est plus qu'une question de routine maintenant. C'est même fortement rasoir, croyez-moi.
Enfin on s'habitue à tout, il y a même bien plus malheureux que moi hélas.
D'ailleurs au printemps et pour des raisons spéciales, si c'est possible, je tâcherai de travailler à l'extérieur. Ce sera beaucoup plus intéressant que d'être toujours enfermé et plus sain.
Un petit stage dans la culture, par exemple. Ce sera une bonne occasion de m'instruire. On se souviendra longtemps de notre villégiature!
Enfin, j'espère qu'on sera quand même libéré suffisamment tôt pour ne pas sortir d'ici avec des cheveux blancs, quoique maintenant, on ne se fait plus d'illusions. Il ne reste plus qu'à nous résigner.
Envoyez moi si possible, dès que vous pourrez, car ma foi autant s'organiser : un des 2 pantalons de treillis que je dois avoir dans une de mes malles. Il faudra peut-être le raccourcir et le reprendre à la ceinture, joignez-y également loup de mer et une de mes deux chemisettes et serviette de toilette.
Donnez moi de vos nouvelles avec plus amples détails, la vie doit être dure actuellement en France, enfin, songeons toujours à ceux qui sont encore plus à plaindre que nous et Dieu sait s'il y en a!
Je vous quitte pour ce soir, je vous embrasse tous, Pierre.
Note JP Floch: Logé dans un dortoir au dessus d'un dépôt d'essence (30.000 litres), il cherche à dégager au plus vite, craignant des bombardements alliés (janvier 1941).
01/02/1941 :
Chers parents,
Rien de sensationnel ces jours-ci. Nous avons toujours beaucoup de neige dans le pays. C'est très joli d'ailleurs, malgré tout l'hiver commence à tirer à sa fin. Jusqu'à présent, nous n'en avons pas souffert.
J'espère que vous êtes toujours tous en bonne santé. Pour ce qui est de la question des colis, je les ai tous reçus et je vous en remercie. D'ailleurs j'ai déjà du le faire.
Bonjour affectueux à tous.
Pierre
21-02-1941 :
Chers parents,
Je fais réponse à votre dernière carte qui est du 31 Janvier.
D'après ce que vous me dites, à la maison, tout va bien, c'est l'essentiel. La santé, on s'en aperçoit d'ailleurs maintenant plus que jamais, c'est tout.
Je plains fort les gens maladifs et faibles surtout actuellement, car l'épreuve va encore être plus dure pour eux que pour nous.
Quant à moi, je me porte bien, nous menons une vie régulière qui est tout à fait saine, cependant j'attends avec impatience les beaux jours pour travailler au grand air, car malgré tout, être toujours enfermés dans une usine surchauffée, ce n'est pas intéressant.
D'ailleurs, j'ai toujours aimé les voyages et les changements. J'ai une occasion unique de rouler ma bosse. Je veux en profiter.
Vous seriez bien gentils de me donner quelques renseignements sur les camarades s/officiers comme moi, prisonniers en Allemagne, la vie qu'ils mènent etc..très probablement, ils ne doivent pas travailler car un décret nous en dispense, mais les journées paraîtraient interminables si je ne travaillais pas.
Si par hasard, des décrets visant les jeunes gens de ma situation, c'est à dire d'active pourraient m'intéresser, vous seriez bien aimables de me les écrire. A part cela, rien de changé. Je vous embrasse tous.
Notes Jean Paul Floch : Lors d'un comptage de prisonniers dans cette usine, mon père a profité d'une inspection par un colonel Allemand et s'est avancé, empoigné aussitôt par des gardes.
Il a demandé à parler au Colonel, lequel l'a convoqué 1 heure après.
Il a alors expliqué qu'il perdait son temps à fabriquer des soucoupes de porcelaine et qu'il pourrait se rendre plus utile en exerçant ses compétences civiles d'ingénieur agronome (ce qui était faux bien entendu mais il savait que les alliés ne bombarderaient pas la campagne).
Interrogatoire poussé : Où avait-il obtenu son diplôme, expérience etc...
"A Alger" dit-il, sachant que les allemands ne pourraient pas vérifier.
Quelques jours plus tard, on lui confiait la gestion d'une ferme.
N'y connaissant rien dans les travaux des champs, il a appris grâce à la complicité et la confiance de quelques prisonniers.
21-04-1941
Comme je vous l'ai annoncé précédemment, j'avais l'intention de changer de Kommando, j'ai réussi et actuellement, je suis perdu dans une petite ferme dans une charmante vallée. Il y a beaucoup de travail, mais je suis suffisamment bien bâti physiquement pour tenir le coup et il est bien plus sain de travailler au grand air pour la belle saison que de rester enfermé.
Que de cordes à mon arc en rentrant en France. Encore un nouveau métier dans mon sac. Bientôt les vaches et le boeufs n'auront plus de secrets pour moi. Au début, je n'étais pas si fier que ça, mais maintenant je suis accoutumé, et tout va bien.
Les journées passent plus vite que dans l'usine, mais pas encore assez vite à mon gré.
On a l'impression parfois d'être oubliés, on se demande si un jour on reverra notre beau pays. Combien la libération peut se faire attendre !
Quand redeviendrons nous civilisés ? Quel plaisir pour nous le jour où on pourra enfin manger de la cuisine française, entendre de la musique, revivre enfin car ce n'est pas une vie qu'on mène !
Toutes les sensations, tous les petits détails, tous les petits riens qui font la vie, on les ignore.
Enfin ! j'espère qu'un jour on en verra la fin.
Chers Parents, je vous quitte, à part cela, rien de sensationnel, la santé, toujours bonne. J'espère que pour vous il en est de même.
Je vous embrasse tous, bien affectueusement,
Pierre.
26-4-1941 :
LETTRE PASSÉE PAR UN SOLDAT ALLEMAND
Un soldat allemand en permission dans le village où je travaille actuellement s'est proposé aimablement de vous faire parvenir cette lettre clandestinement.
Il est en garnison à Bordeaux et de ce fait, emprunte la ligne Tours-Poitiers-Angoulême-Bordeaux. Il serait donc question qu'il dépose cette lettre à la gare de Poitiers et de là, elle vous parviendra certainement, j'ignore de quelle façon.
Voici exactement ce qui se passe, je puis vous parler plus librement.
Depuis ma captivité, je n'ai pas trop souffert, sauf dans les débuts bien entendu.
J'ai séjourné 3 semaines au camp de Nuremberg où c'était loin d'être intéressant, et de là, j'ai été dirigé vers Weiden.
C'est un peu la loterie : 30 ici, 40 là où, question de chance, je suis bien tombé.
C'était donc dans une fabrique de porcelaine. Le travail n'était pas fatiguant, tout au moins le mien. Il consistait à fabriquer des assiettes et des soucoupes. Nous étions 60 bien nourris, enfin suffisamment, et logés convenablement.
En somme, j'aurais pu y rester jusqu'à la libération. Quoique le travail devenait monotone, au pied d'un tour toute la journée.
Cependant, ce n'est pas cela qui m'a fait partir car j'ai quitté la fabrique depuis le début d'avril. Ce qui n'a pas été sans difficultés, croyez le bien car on est loin de faire ce que l'on veut. Nous sommes prisonniers, je vous le rappelle.
Enfin je me suis débrouillé de telle façon que j'ai quand même réussi à partir.
Nous étions logés dans l'usine à 50 mètres de la gare d'une ville de 30.000 habitants, au dessus d'un dépôt d'essence. Vous devinez tout de suite la suite...Nous avons déjà eu des alertes contre avions cet hiver et je me suis dit une chose : si déjà nous avons des alertes en Janvier qu'est ce que cela sera au mois de mai! J'ai trop souffert des bombardements avant ma captivité, ça ne m'enchantait pas du tout. Et comme j'ai l'intention de revenir et de ne pas laisser ma peau dans ce triste pays, j'ai pris les devants et maintenant je suis délivré de cette obsession qui ne me quittait plus.
Je suis actuellement au Kommando 3238, dans une nouvelle ferme, car c'est la 2ème ferme que je fais, la première j'y suis resté 3 semaines et j'ai compris.
J'ai d'ailleurs maigri pendant ces 3 semaines. J'avais énormément de travail et j'étais loin de manger à ma faim. J'ai réussi également à changer et maintenant je suis dans un petit village situé entre Nuremberg et Weiden, toujours en Bavière.
Bien entendu, nous travaillons toute la journée chez le paysan et le soir, nous rentrons dans un même local pour dormir. Nous sommes seulement 9 dans ce petit Kommando, tous des types charmants : parisiens, poitevins, méridionaux etc.
Voici en quoi consiste mon travail : Réveil 5h 1/2 le temps de se vêtir et nous devons regagner nos fermes respectives. Arrivée dans les fermes à 6 heures.
Je suis très bien tombé actuellement, en ce sens que j'ai très peu de bêtes à m'occuper. Je n'ai que 2 bœufs. Les vaches et les veaux, c'est la soeur du patron qui s'en occupe, tandis que dans l'autre ferme, j'avais 18 bêtes à m'occuper, matin-midi et soir en rentrant des champs. Dans l'autre ferme, je faisais des journées de 16 heures en continu sans m'arrêter (juste 10 minutes pour manger).
Ici, je suis moins poussé au travail. J'ai comme patron, un jeune homme de 25 ans qui, ma foi, serait presque paresseux. Tant et si bien que pour l'instant, j'y ai trouvé une grosse différence, et en plus de cela, ici, j'ai la radio dans la ferme. Un petit poste, toujours Stuttgart mais enfin ça me permet quand même de manger en musique et vous savez que j'adore la musique.
J'ai l'impression de retrouver un peu de civilisation.
Donc, ne vous inquiétez pas pour ma santé. Jusqu'à présent, depuis ma captivité, j'ai tenu le coup. Vous me verrez revenir un jour, un peu vieilli naturellement, bruni avec des mains calleuses, mais maintenant ici, j'ai la certitude de revenir et puis, vous savez, je suis devenu assez philosophe comme beaucoup de mes camarades d'ailleurs.
J'ai cassé mes lunettes depuis quelques temps avec les bêtes. Je suis donc sans lunettes. Pour combien de temps ? je l'ignore peut-être jusqu'à la libération. Je suis allé en ville chez l'oculiste et opticien à la fois qui m'a pris soi-disant les numéros de verre. Tant et si bien qu'ils m'ont fait parvenir dans mon petit village aujourd'hui des lunettes avec lesquelles je ne vois rien du tout, enfin, ceci est un détail sans importance.
Passons à la question correspondance maintenant :
Dans le kommando où je suis actuellement 3238, nous avons une sentinelle qui est loin d'être francophile et qui fait tout pour nous ennuyer. Nous ne recevons plus les imprimés nous permettant de vous écrire régulièrement : donc : ne vous inquiétez pas si vous restez sans nouvelles un moment, c'est que je serai dans l'impossibilité de vous écrire. Pas de mauvais sang à mon sujet!
Comme pour la question des colis, ne tenez pas compte de la mention "Couleur bleu ou rouge", envoyez ce que vous voulez ça n'a aucune importance, n'ayez aucun scrupule.
Je ne vois pas autrement grand chose de sensationnel à vous raconter.
Du point de vue politique, nous sommes au courant seulement des grands évènements. N'étant informés que par eux bien entendu, ne connaissant que leurs succès, ignorant le reste. D'ailleurs vous, de ce moment, c'est vraisemblablement la même chose.
Enfin, notre plus cher désir à tous, c'est que la guerre se termine le plus vite possible car nous ne serons certainement pas libérés avant la fin, surtout moi qui suis de la classe 1938 et quand ? Tout le monde l'ignore. Le pire est à craindre dans cette guerre ultra-moderne.
Enfin, j'espère que malgré tout, en arrivant en France, j'aurai des possibilités de me faire une situation dans l'administration ou je ne sais quoi enfin, je me débrouillerai.
Que de choses on aura à se raconter au retour!
Il fait encore froid dans le pays puisqu'hier nous avons eu de la neige.
Ce soldat allemand qui vous fera parvenir cette lettre, m'a également pris en photo avec mes bœufs. Il vous en enverra un exemplaire, mais alors "motus" tout cela est formellement interdit. Ne montrez cette lettre à personne. Je vais en profiter également pour vous souhaiter une bonne fête Maman, Yves et Yvonne.
Pierre.
01-06-1941
Bientôt un an que je suis prisonnier et toujours séparés de vous. Ah comme la libération se fait attendre.
C'est aujourd'hui la Pentecôte, une belle fête. Il fait beau, et pour nous, c'est toujours la même vie monotone. Enfin, espérons que l'année prochaine nous serons réunis.
On s'en souviendra longtemps de notre captivité.
A part cela, tout va bien, toujours en bonne santé, je tiens le coup.
J'espère qu'il en est de même pour vous.
Je vous embrasse tous,
Pierre
21-06-1941
Voici enfin les beaux jours, depuis 5 ou 6 jours, nous avons un soleil spendide, il fait tès chaud et dans les champs, le soleil tape, croyez-moi. J'ai beaucoup bruni, pas besoin d'aller au bain de mer.
Les grands travaux ont commencé. Nous avons rentré les foin hier. J'ai déchargé 3 grosses charrettes. Enfin, l'essentiel, c'est que je me porte toujours très bien, c'est dur, parfois je suis très fatigué, mais malgré tout, travailler au grand air, c'est très sain, surtout que l'ari est très vif ici, étant dans la montagne.
Et puis ma foi, je me suis mis dans la tête de travailler en forme cet été pour des raisons personnelles, que vous n'êtes pas sans ignorer. Et ma foi, je suis têtu quand j'ai une idée dans la tête, je m'obstine et jusqu'à présent,je ne regrette pas.
Donc tout va bien, nous nous résignons lentement, la liberté viendra un jour, et ce jour là, ma foi, sera un des plus beaux jours de ma vie.
J'espère que vous êtes tous en bonne santé et que Papa voit avec joie les vacances approcher, vacances bien méritées d'ailleurs.
Il en aura bien besoin pour se reposer car l'année a dû être très pénible et Dieu sait si les soucis ne l'ont pas ménagé. Enfin ! Tout s'arrangera bien un jour.
Je vous quitte chers parents, je vous embrasse tous,
A bientôt peut-être.
Pierre.
21-07-1941
Je m'empresse d'accuser réception du colis contenant mes lunettes que j'ai reçu avant hier.
Je l'attendais avec impatience et je suis bien content de pouvoir enfin, maintenant, y voir clair. Elles me vont très bien. Il y a une légère différence avec la paire précédente. Celles ci ont les verres bombés alors que les autres avaient les verres plats, mais cela n'a aucune importance, j'y vois très bien, c'est l'essentiel.
Je vais vous demander de m'expédier dans les plus brefs délais, si cela est possible, car j'en ai bien besoin, une de mes paires de brodequins qui doivent encore se trouver à la maison, la plus grande est en meilleur état. Bien entendu, mettez des clous si possible. Les miennes sont complètement usées et je souffre beaucoup des pieds, étant pour ainsi dire dans l'eau tous les jours. Vous ajouterez à cela une de mes chemises (voir ma chemise scout).
A part cela, tout va bien. Je tiens le coup, je mange à ma faim et c'est l'essentiel. Tant que l'on a de l'appétit, en principe, on ne peut pas être malade.
J'espère que pour vous tout va bien. Vive les vacances pour vous, profitez en.
Bons baisers à tous, Pierre
21-08-1941
Chers Parents,
Il est temps que je vous donne de mes nouvelles. Vous devez vous inquiéter parfois à mon sujet, et ma foi, point n'est besoin puisque tout va aussi bien que les circonstances le permettent.
La santé est bonne et je ne suis pas malade. Je tiens le coup, mais c'est très dur. Il y a du travail en quantité en ce moment. Nous faisons tout à la main. Je ne cesse pas de faucher et de lier.
J'ai bien mal aux reins, le soir, enfin, il faut en prendre son parti. Je ne suis pas le seul, malheureusement.
Et dire que nous avons encore tout un hiver à passer vraisemblablement et peut-être une grosse partie de l'année prochaine.
Dans notre vie ténébreuse, le petit rayon de soleil qui est l'espoir du retour est la seule chose qui nous permette de tenir. Sans quoi, il serait impossible de mener une telle vie longtemps.
Pouvez-vous me donner des nouvelles du Cdt Serre ainsi que du Cdt Jégo? Ils étaient avec moi le jour où j'ai été fait prisonnier. Le sont-ils également? Que sont-ils devenu ?
Mettez-vous en relation avec eux si possible, j'aurai vraisemblablement besoin d'eux pour ma situation militaire par la suite.
Je vous quitte, chers parents, vous embrassant très affectueusement et pardonnez mon humeur morose d'aujourd'hui.
Pierre.
01-09-1941 :
Chers parents,
Je vous accuse réception du colis que vous m'avez expédié dernièrement contenant une superbe paire de brodequins.
Je ne m'attendais pas à si beau, ils m'ont fait beaucoup de plaisir, car je souffrais terriblement des pieds et maintenant, je vais pouvoir aller à travers champs, dans le fumier, sans avoir les pieds mouillés et ensanglantés. Je vous embrasse tant. A quand ??
21-10-1941
Chers parents,
J'accuse immédiatement réception du colis qui m'est parvenu ces jours derniers, contenant en totalité ce que j'avais demandé, c'est à dire bottes en caoutchouc, chausson, caleçons, chaussettes, gants.
Je vous remercie beaucoup, le tout me sera très précieux pour cet hiver, je dirais même indispensable.
J'ai eu une riche idée le jour où j'ai fait l'acquisition de ces bottes. Je les porte déjà et elles me seront très utiles et elles seront encore davantage lorsque la neige fera son apparition, c'est à dire incessamment, d'autant plus qu'il doit être impossible actuellement d'en trouver dans le commerce.
J'ai également une grande nouvelle à vous annoncer : J'ai terminé l'arrachage des pommes de terre. , c'est à dire, les travaux les plus pénibles que je n'avais encore jamais fait dans mon existence. Il ne me reste plus qu'à ensemencer, le blé, l'arrachage des betteraves et le labour et tout cela n'est qu'un jeu d'enfants pour quelqu'un d'expérimenté en la matière comme je le suis maintenant.
Le changement de n° de Kommando va vraisemblablement vous étonner, qu'il n'en soit rien! Nous sommes toujours au même endroit, nous avons seulement changé de sentinelle et de ce fait le n° a changé.
Je vous laisse, affectueux bonjour à tous,
Pierre.
10-11-1941
Je viens vous rassurer sur mon sort car j'ai peur que vous ne vous inquiétez à tort.
Je vais toujours bien. La santé se maintient bonne malgré le froid et la neige qui ont fait leur apparition ces derniers jours.
Depuis hier, la neige a disparue, en conséquence, je vais vraisemblablement labourer toute cette semaine et probablement la semaine prochaine si le temps le permet, et ma foi, ces travaux terminés, je ne vois plus rien à l'extérieur car le sol dans le pays est recouvert de neige pendant 3 ou 4 mois.
Donc, bientôt, il ne me restera plus qu'à travailler dans la ferme qui fait en même temps scierie. Mon principal travail consistera à aller chercher les troncs d'arbres dans les bois, les charger, les décharger et faire toutes les manoeuvres nécessaires pour les scier.
Je préfère la belle saison, le soleil, à ce temps triste. Les journées sont longues, interminables puisque voilà Noël qui approche et une fois de plus, nous serons séparés.
Espérons que pour le Noël 42, il n'en sera pas de même.
Chers parents, je vous quitte. J'epère que de votre côté, la santé est toujours bonne.
Je vous embrasse tous,
Pierre.
07-12-1941
Je n'ai rien de sensationnel à vous raconter. Je suis à nouveau en usine.
Je regrette énormément ma vie de campagnard. J'étais beaucoup plus heureux et le temps passait plus vite. Enfin, je ne puis rien y faire, il y a des jours, je suis totalement abruti.
Je pense à un tas de choses, ma tête ne cesse pas de travailler. Il est temps que cette vie lamentable prenne fin.
Je vous embrasse tous,
Pierre.
14-12-1941
Chers Parents,
Je dois vous prévenir que vraisemblablement vous ne recevrez plus aussi régulièrement de mes nouvelles, car le privilège que j'avais dans le précédent Kommando, celui d'écrire en tant que s/officier 2 cartes et 1 lettre de + par mois, n'existe plus dans celui-ci.
Je suis toujours dans l'usine, mais j'ai dans ma tête de repartir en ferme, et quand j'ai quelque chose en tête, j'arrive toujours à mes fins.
Donc, ne vous inquiétez pas. Tôt ou tard, je serai de nouveau dans la nature.
Je vous embrasse tous. Meilleurs vœux Pierre.
28-02-1942
Chers Parents,
Je recopie correctement une lettre que je vous ai envoyée le 8 de ce mois qui ne pourra vous parvenir par suite d'une erreur de ma part, je me suis trompé de côté pour vous écrire.
Voici donc ce dont il était question :
J'ai réussi à changer de Komando et suis à nouveau en ferme.
Je suis très content, enfin autant que peut l'être un prisonnier, car son sort est loin d'être enviable, croyez moi.
C'est beaucoup plus intéressant pour moi à tous points de vue et la vie au grand air est beaucoup plus sain. Et en principe, je mangerai à ma faim.
Je suis chez des patrons sympathiques qui sont bons pour moi, et avec mes connaissances d'allemand, nous arrivons à nous comprendre très bien.
Je travaille maintenant avec 2 chevaux, et ai également beaucoup de machines à ma disposition : faucheuse, moissonneuse, herse etc.
Enfin, j'ai l'impression que je sortirai d'ici, cultivateur accompli, et on ne peut jamais savoir. Ces connaissances pourront peut-être me servir un jour.
Je répète ce que vous ai déjà dit, envoyez moi ma culotte de toile kaki ainsi que ma veste de treillis et tâchez de me trouver également pour cet été, chemisette, enfin loup de mer ou autres car je n'ai plus que 2 chemises et ma foi, en piteux état.
Mes dimanches entiers, je les passe à raccommoder.Nous parlons de choses et d'autres entre camarades et nous nous posons un tas de questions. Quelle sera la valeur de l'argent liquide au retour ? donc, il est préférable de transformer cet argent de suite en marchandises. Achetez moi donc, si vous trouvez, un poste TSF occasion ou neuf. Vous pourrez jouir aussi dès à présent de ma solde.
Si vous me trouvez également des stylos, porte monnaie,briquet etc, je n'ai plus rien. Conseillez moi, je vous quitte,
Je vous embrasse tous,
Pierre.
29-03-1942
Chers Parents,
Je suis toujours en bonne santé, j'ai de nouveau bruni et ai de nouveau les mains calleuses, mais ça n'a pas d'importance.
Nous ressortirons bien un jour de ce pays et vous retrouverez des hommes, croyez moi, transformés, endurcis mais vieillis.
Je vous écrirai dimanche prochain une lettre, vous demandant de vous occuper de ma situation militaire, de mon avancement etc. C'est une chose indispensable.
Je vous souhaite bon courage.
Tout le monde en aura besoin cette année, cela va être très dur.
Je vous embrasse,
Pierre
26/04/1942
Chers parents,
Me voici encore déplacé depuis hier. Dans la ferme où j'étais, ils ont reçu un ménage polonais, et de ce fait, j'ai été renvoyé en ville et travaille actuellement chez un jardinier.
J'y suis bien et travaille avec un autre français prisonnier comme moi.
Le temps semble moins long. Nous faisons cependant des journées de 14 heures et le soir nous rentrons au Kommando où nous sommes 25.
Je mange bien, enfin jusqu'aujourd'hui, c'est la vie de famille.
J'ai la radio, musique, deux chiens nous tiennent même compagnie à table, ce n'est pas toujours appétissant!
Pierre.
24-05-1942
Cher parents,
C'est aujourd'hui dimanche et c'est un jour intéressant pour nous car nous pouvons nous reposer un peu l'après-midi. Nous reposer c'est une façon de parler. J'ai passé mon temps à raccommoder pull-over, vareuse, pantalon. J'ai mis une pièce et des clous à mes chaussures. Ce sont mes distractions du dimanche.
Que de choses apprises en 2 ans! Mais encore combien à apprendre. J'étais un pauvre ignorant.
Ah, je vous quitte, bon courage à tous. Cette épreuve salutaire pour moi prendra fin un jour.
Pierre
14-06-1942
Chers Parents,
J'ai de nouveau changé de patron, toujours dans le même Komando malgré cela, je suis chez un paysan toujours en ville, enfin aux limites de la ville.
J'ai déjà commencé les foins. Les durs travaux et j'en ai déjà trempé des chemises.
J'ai bien peur que ma correspondance et mes colis depuis mon départ ne se soient égarés. Redites moi donc, tout ce que vous m'avez déjà dit au sujet de ma situation.
Ah! Je vous quitte pour ce soir, je vous embrasse tous,
Pierre.
28-06/1942
Chers Parents,
Je viens de recevoir votre lettre du 8 Juin. J'ai répondu dans une de mes lettres précédentes au sujet de ma délégation de solde.
Pour ce qui est des 2 lettres interessantes, je ne les recevrai certainement plus maintenant. Elles sont perdues ainsi que mes colis.
Répétez moi donc à peu près exactement ce qu'elles contenaient, cela m'intéresse énormément.
Je vais écrire dimanche prochain au Commandant Sère.
J'ai terminé les foins hier et je suis très content car c'est très fatigant.
Je vous embrasse tous,
Pierre
5-07-1942
Chers Parents,
Je viens vous donner quelque peu de mes nouvelles.
Je suis toujours en bonne santé. J'ai une constitution robuste à toute épreuve, j'ai cette impression, je me suis énormément fortifié au point de vue musculaire. Je suis beaucoup plus fort que je n'étais, et un sac de 100 Kg ne m'effraie plus.
Le travail est incontestablement le sport le plus complet, par conséquent le meilleur.
La santé, c'est quelque chose de primordial surtout actuellement et ma foi je me porte très bien.
Je suis parfois bien fatigué, les journées sont longues mais quelques heures de sommeil sur une paillasse, pourtant me sont d'un précieux secours et me permettent d'attaquer la journée du lendemain frais et dispo.
Le colis de la Croix Rouge contenant vêtements de toile ne m'est jamais parvenu et je ne le recevrai plus maintenant.
Essayez donc de vous procurer si la chose est possible, c'est pour moi indispensable, un pantalon de travail usagé, ça n'a pas d'importance, gris, bleu, vert, ça m'est complètement égal. Fabriquez moi également 2 paires de chaussons avec semelles souples qui me serviront dans mes bottes, essayez de trouver également une gamelle et un quart, je n'ai rien et j'en ai besoin.
J'ai reçu un colis contenant veste de toile, chocolats etc. C'est très gentil. Expédiez vous-mêmes les 2 lettres que j'ai écrite au Commandant Sère. Elles arriveront plus certainement.
Bons Baisers,
Pierre.
23-08-1942
Chers Parents,
Rien de sensationnel. Tout va bien, je suis en excellente santé malgré les pénibles travaux qui nous sont imposés.
Voici 3 dimanches que je travaille, je n'ai pas seulement 3 heures de disponibles dans la semaine pour lire et raccomoder.
Tous les jours on dit que "le travail c'est la santé". Ici, c'est mis en application vous pouvez me croire. Je n'arrête pas. Avec 2 cornes, je ferais un animal parfait.
Je vous quitte, je vous embrasse,
Pierre.
13-09-1942
Chers parents,
Pas grand-chose de neuf à vous raconter, notre vie est si monotone. Nous nous préparons à passer un 3ème hiver, peut-être sera-ce le dernier, il serait temps car notre patience a des limites malgré tout, et il arrive parfois qu'elle est à bout, avec justes raisons d'ailleurs.
J'espère que vous êtes tous en bonne santé.
Quant à moi, un peu fatigué mais je tiens le coup cependant. Ah! je vous quitte et je vous embrasse tous.
Pierre
29-11-1942
Chers parents,
Je suis très heureux de pouvoir vous donner quelques nouvelles. L'essentiel : je suis toujours en bonne santé.
Les grands froids ont déjà fait leur apparition mais je me sens tout à fait dispos et je tiendrai certainement le coup. Je vous joins à ma carte une petite photo. J'ai vieilli et un peu maigri. J'ai l'air sévère mais n'y faites pas attention. Vous devez bien comprendre que nous n'avons pas toujours envie de rire.
J'ai bien reçu tous les colis expédiés par le comité ainsi que le colis de linge. Je vous remercie.
Je vous quitte vous envoyant mes meilleurs voeux pour 1943 qui nous amènera la paix et la libération.
Pierre
28-02-1943
Chers parents,
J'ai de nouveau changé de patron. Je suis actuellement dans un bourg à proximité d'une grande ville, toujours chez des paysans.
Beaucoup de travail en perspective. 3 chevaux, 8 vaches, 2 génisses et 4 veaux mais les patrons sont sympathiques et la nourriture suffisante.
J'ai 15 camarades charmants presque tous de mon âge et je suis leur interprête et homme de confiance depuis hier. Je n'aurai pas le temps de m'ennuyer. Ai reçu tous les colis annoncés. Merci Bons baisers
Pierre
18/04/1943
Chers Parents,
Je suis toujours dans le même pays chez mes paysans, tout va aussi bien que possible.
La santé se maintient bonne malgré quelques maux d'estomac (à 25 ans!).
Cela provient de ce qu'il faux toujours manger vite à midi principalement : 10 minutes 1/4 d'heure, pas plus et comme j'ai 7 dents en moins depuis déjà plus de 2 ans, je ne mâche pas très bien et cela m'est indigeste.
Enfin, c'est un détail.
Patience, comptons sur du nouveau incessamment.... Nous rendons visite aux caves.
Pierre.
9-05-1943
Chers parents,
Et la fête continue! J'ai encore une fois de plus changé de kommando.
Je suis toujours à proximité de la même ville mais dans une autre direction.
Je suis chez le maire du pays très pittoresque. Nous sommes 9 camarades dans le village, logés dans un petit pavillon en plein bois. Je vis au milieu des chevreuils et des chèvres. Je ne sais pas si je vais y rester.
Bons baisers
Pierre.
NB de Jean-Paul Floch : Mon père m'a donné l'explication de son nouveau changement d'affectation :
La fille du paysan et lui étaient amoureux. Dès que le paysan l'a su, il a demandé à un de ses amis, (le maire du village) de prendre mon père. Mon père ne comprenait pas ce revirement de situation car il s'entendait bien avec le paysan.
Quelques temps plus tard, il a vu arriver son amoureuse qui l'a abordé sur la place du village pour lui donner les raisons exactes de son éviction de la ferme :
Le risque était trop grand pour les 2 tourtereaux.
Elle a eu beaucoup de courage car elle savait que c'était strictement interdit pour une allemande de parler à un prisonnier dans la rue mais elle voulait le revoir parce qu'elle ne pouvait pas le laisser partir sans qu'il sache pourquoi.
07-06-1943
Chers parents,
Je vais toujours très bien. L'air est très vif et très sain ici. Je suis bronzé et reviendrai bientôt noir si le soleil fait sa réapparition car actuellement il fait froid et il pleut très souvent.
S'il fait beau peut-être cette semaine, tout au moins la semaine prochaine, commencerons-nous les foins et ça ne m'enchante pas du tout car c'est vraiment pénible. Mais j'ai l'habitude et tiendrai bien le coup.
Je vous dit à bientôt car j'ai la conviction que d'ici peu, il y aura du nouveau.
Je vous embrasse tous.
Pierre.
11-07-1943
Chers parents,
Je viens de recevoir une carte de vous aujourd'hui datée du 21-6-1943.
J'espère comme vous que ce carnage qui actuellement sévit sur le monde entier prendra fin incessamment et que bientôt j'aurai le plaisir de me retrouver parmi vous tous.
Ici le temps est lamentable et fait presque froid mais ces jour derniers, il faisait très sec, les légumes verts sont très touchés, il était temps tout cela a assez durés. J'ai encore changé de lieu. A bientôt l'automne nous apportera quelques chose. Je vous embrasse
Pierre.
14-07-1943 au soir :
3 semaines de cachot pour inconduite au camp de prisonnier :
NB : Jean-Paul Floch : Le drapeau allemand flottait toute la journée sur le commando. Au matin du 14 Juillet 1943, mon père a réussi à remplacer le drapeau allemand par le drapeau français. Cela a fait beaucoup rire les prisonniers et leur a donné du baume au coeur en ce jour de fête nationale. Ce n'est que le soir, à la descente du drapeau que les allemands s'en sont aperçu.Mais il a bien fallu que mon père se dénonce pour ne pas faire porter la punition sur tout le monde.
Une prisonnière russe, qui officiait aux cuisines, l'a vu se dénoncer et elle a pris le très gros risque de lui apporter de la nourriture par le soupirail et ce, toutes les nuits.
Les prisonniers au cachot n'avaient que de l'eau et du pain de seigle avec de la sciure de bois et sortaient très affaiblis de 3 semaines de cachot. Mon père, lui, est ressorti un peu pâle mais en forme sans que les allemands ne se posent la moindre question.
15-08-1943
Très chers parents,
Je suis toujours en bonne santé malgré les pénibles travaux qu'il nous faut accomplir actuellement des battages, mais ma foi, j'ai la force et c'est beaucoup. Je porte mes sacs de 100kg et les monte au grenier aussi facilement et mieux même que certains paysans du secteur.
J'espère que de votre côté, malgré les restrictions possibles, vous tenez le coup également.
A bientôt, je l'espère
Je vous embrasse tous
Pierre
16-04-1944
Chers parents,
Le courrier nous parvient toujours avec beaucoup de retard. Voici d'ailleurs plusieurs semaines que je suis à nouveau sans nouvelles.
Je suis toujours en bonne santé, le cafard malheureusement vient parfois me rendre visite. Nous en avons tous par dessus la tête de cette maudite guerre interminable.
Enfin, malgré tout, je crois que cette année, nous avons nos petites chances de tous nous retrouver.
Je vous embrasse
Pierre
01-05-1944
Chers parents,
Rien de sensationnel. Toujours santé resplendissante.
Attendons du nouveau avec impatience.
Peut-être cette année nous amènera-t-elle enfin la libération tant souhaitée, la résurrection si je puis dire, car nous sommes dans le "coma" depuis quatre ans.
J'espère que, malgré les conditions de vie tout à fait pénibles, vous êtes toujours en bonne santé.
A bientôt peut-être.
Je vous embrasse tous
Pierre
02-07-1944
Très chers parents,
Je suis depuis longtemps sans nouvelles. Les évènements en sont vraisemblablement la cause. Ce n'est une surprise pour personne, nous avions prévu cela depuis longtemps.
Je suis toujours en bonne santé. Nous avons terminé les foins, la plus pénible des corvées.
J'ai demandé à rentrer au Stalag en tant que sous-officier, je n'ai pas encore reçu de réponse.
Si je m'ennuie trop, je repartirai au travail dans une autre direction.
Espérons un retour proche et la réunion pour bientôt.
Je vous embrasse tous
Pierre
16-07-1944
Chers parents,
Je suis toujours sans nouvelles depuis le début de l'invasion.
Je commence à m'inquiéter.
La situation est très pénible en France, vous souffrez de tout et le pire est à envisager.
J'ai lu sur les journaux que Poitiers avait subi courant juin un violent bombardement.
Je souhaite que St Maixent reste oublié. Mettez moi au courant de tout ce qui se passe.
Quant à moi, toujours en bonne santé.
Le pire est également à craindre ici.
Déjà ce matin, le secteur était loin d'être calme!
Courage, confiance! La providence nous protègera.
Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
A bientôt, je vous embrasse
Pierre
13-08-1944
Chers parents
Je continue à vous donner de mes nouvelles à tout hasard, malgré les évènements qui, c'est vraisemblable, vont ralentir si ce n'est complètement arrêter l'acheminement du courrier.
Je suis toujours en bonne santé, en pleine moisson.
Nous avons tous bon espoir, c'est bien la dernière que je fais dans ce pays.
Pour Noël, nous serons tous réunis.
Je vous embrasse tous
Pierre
27-08-1944
Chers parents
Je veux continuer à vous donner de mes nouvelles pour vous rassurer à tout hasard, car vraisemblablement, vous ne la recevez pas.
Je suis toujours en bonne santé, le moral remonte, nous serons bientôt tous réunis. Patience!
Nous avons énormément de travail : les battages toute la journée, les sacs de 100 kg.
Je suis fatigué le soir mais ma consolation c'est que "c'est du peu!" et j'espère bien tenir le choc jusqu'au bout.
Je vous embrasse tous
Pierre
03-09-1944
Chers parents,
Je suis toujours en bonne santé et le moral remonte.
La libération ne saurait tarder désormais pour nous. Quant à vous, vous avez déjà dû trouver du changement.
Nous allons nous retrouver tous bientôt, en bonne santé, je l'espère.
Nous ne passerons pas la Noël ici, je ne crois pas.
Je vous quitte en vous embrassant tous, à bientôt
Pierre
10-09-1944
Chers parents,
J'ai reçu une carte de vous cette semaine datée de début Août.
Très heureux de savoir que vous êtes toujours en bonne santé.
Maintenant vous allez revivre. Pour vous le drame est pour ainsi dire terminé.
Pour nous, hélas pas encore! Le pire est à envisager ici.
Nous recevons déjà des visites très fréquemment et trop bruyantes à mon goût.
Enfin! La Providence, elle nous protègera.
A bientôt je l'espère avant Noël certainement.
Bons baisers
Pierre
26-11-1944 Dernière lettre :
Chers parents,
Plus de nouvelles, plus rien! Qu'êtes-vous devenus après tous ces évènements? J'espère que vous tous en bonne santé et que le cauchemard a pris fin pour vous tous.
Quant à moi, toujours en bonne santé.
Le secteur est de plus en plus mouvementé et cela promet car c'est un commencement seulement.
Enfin, nous n'y passerons pas tous, il y aura bien quelques survivants je l'espère.
Cela va devenir très dangereux. De toute façon, "c'est du peu!"
Je vous embrasse tous
Pierre