Amour de mon père pendant la seconde guerre mondiale
Mon père, engagé militaire le 5 mai 1936, a combattu réellement sur la Marne les 11 et 12 juin 1940, et fait prisonnier pour ensuite travailler dans une usine de porcelaine en Bavière.
Sachant que cela pouvait lui sauver la vie, il avait appris l'allemand en 3 mois. Il pouvait ainsi comprendre ce que les Allemands disaient et en informer les autres prisonniers.
Lors d'un comptage de prisonniers dans cette usine, il a profité d'une inspection par un colonel Allemand et s'est avancé, empoigné aussitôt par les gardes. Il a demandé à parler au Colonel, lequel l'a convoqué 1 heure après. Il lui a expliqué qu'il perdait son temps à fabriquer des soucoupes de porcelaine et qu'il pourrait se rendre plus utile en exerçant ses compétences civiles d'ingénieur agronome (ce qui était faux bien entendu mais il savait que les alliés ne bombarderaient pas la campagne).
Interrogatoire poussé : Où avait-il obtenu son diplôme, expérience etc..."A Alger" dit-il, sachant que les Allemands ne pouvaient pas vérifier.
Quelques jours plus tard, on lui confiait la gestion d'une grosse ferme. N'y connaissant strictement rien dans les travaux de la ferme, il a appris grâce à la complicité et la confiance de quelques prisonniers.
Il a réussi à faire passer une lettre à ses parents par un soldat allemand en permission et qui repartait à Bordeaux : "Nous étions logés dans l'usine à 50 mètres de la gare d'une ville de 30.000 habitants, au dessus d'un dépôt d'essence. Vous devinez tout de suite la suite...Nous avons déjà eu des alertes contre avions cet hiver et je me suis dit une chose : si déjà nous avons des alertes en janvier qu'est-ce que cela sera au mois de mai ! J'ai trop souffert des bombardements avant ma captivité, ça ne m'enchantait pas du tout. Et comme j'ai l'intention de revenir et de ne pas laisser ma peau dans ce triste pays, j'ai pris les devants et maintenant je suis délivré de cette obsession qui ne me quittait plus ".
Les prisonniers revenaient chaque soir à leur commando et le drapeau allemand flottait toute la journée sur le camp en haut d'un grand mât.
=> Le 14 juillet 1943, mon père a réussi à remplacer le drapeau allemand par le drapeau français. Tous les prisonniers pouffaient de rire et les Allemands s'en sont apperçu seulement le soir à la baissée du drapeau.
Mon père s'est dénoncé pour éviter de faire porter à d'autres les conséquences de son acte. Il a écopé de 3 semaines au cachot au régime eau + pain de seigle mélangé à la sciure de bois.
Une prisonnière russe (qui travaillait aux cuisines et qui a certainement apprécié la vénération de mon père pour son pays) a pris le gros risque de lui donner à manger toutes les nuits par le soupirail qui donnait sur la cour des femmes. C'est ainsi qu'il est ressorti en forme et sans que les Allemands ne se posent la moindre question. Des pitreries comme celles-là, il en a fait d'autres, d'où de multiples changements de commandos.
Le 26 mars 1945, du fait de l'avancée des Américains, il a été enfermé dans le camp Hammelburg au nord de la Bavière. Il était tellement intrépide que ses gardiens craignaient qu'il ne se venge des mauvais traitements qui lui avait été réservés. Ce camp a été libéré le 5 avril 1945.
Patton a ordonné personnellement d'aller libèrer les prisonniers US (dont son propre neveu) de l'OFLAG XIII B par une "special Task Force" et commandée par le captain Abraham J Baun.
Après sa libération, enrôlé dans l'armée américaine, il a participé à la libération de Buchenwald dont il a gardé un souvenir tenace jusqu'à la fin de sa vie.
Il a pris sous son aile 2 prisonniers français qui étaient notaire et pharmacien. Il a été frapper chez le Maire du village et a exigé qu'il sorte sa plus belle vaisselle et serve un vrai repas à ces prisonniers. Bien sûr, le Maire "n'était pas informé de ce qui se passait au camp!" Comme il y avait un piano dans le salon, il a également exigé que la fille joue du piano. Bien après cet épisode, le notaire et le pharmacien ont écrit une lettre à mon père pour le remercier vivement de leur avoir rendu leur dignité ce jour là.
Il a ensuite quitté le convoi américain pour rentrer à sa garnison de St Maixent car le comportement des américains vis à vis des femmes allemandes le révoltait.
Marie-Laurence, mon épouse, était son unique confidente et ils sont restés complices jusqu'à sa mort. Mon père lui disait souvent : "vous êtes la fille que je n'ai jamais eue".
En 1946, pendant son année à l'Ecole d'Officiers de St Cyr Coëtquidan où il avait été admis 4ème sur 96, il voulait fonder une famille et il a dit à Marie-Laurence : "J'ai rencontré une jolie femme blonde à Guer qui était la gentillesse même !" Ils se sont mariés le 29 octobre 1946 et mon frère est né un an après.
=> 8 jours avant sa mort en 2011, il a demandé à être hospitalisé à la clinique de Malestroit pour être près de nous. En partant de la maison, il a demandé si Marie-Laurence pouvait lui consacrer un long moment le lendemain car il voulait que ses fils apprennent son secret après son départ. Il a donc raconté son amour sans lendemains en Allemagne. Elle s'appelait Maria.
A la libération, alors que la garnison américaine était à une tentaine de km de la ferme des parents de Maria, il a demandé la permission de quitter un moment le campement. Permission refusée!
Mais l'envie de revoir sa bien aimée était trop forte. Il a pris un vélo et il a pédalé sous les bombes pour rejoindre Maria. A la nuit tombée, il est arrivé devant la ferme et il a vu le grand-père sur le pas de la porte. Il s'est alors transformé en statue de sel ! Incapable de traverser la route pour affronter les regards de la famille qui l'avait respecté pendant sa captivité. Il craignait d'y lire la haine qu'il voyait sur le visage des Allemands tout au long de la traversée des convois américains. Il ne pouvait pas l'affronter, et surtout il avait peur du regard de Maria. Il avait quitté cette famille en vaincu et il revenait en vainqueur! C'est donc le coeur déchiré qu'il a regagné difficilement le campement. Le sort avait frappé!
En 1957, il a voulu montrer à ses enfants les fermes où il avait travaillé pendant la guerre. Un après-midi pendant la sieste, il s'est éclipsé pour aller voir la ferme qui lui tenait tant à coeur. Maria était dans la cuisine et s'est élancée vers lui car elle croyait qu'il était venu la chercher. Elle l'avait attendu tout ce temps !
Lorsque mon père lui a expliqué que les militaires français n'avaient pas le droit de se marier avec des Allemandes à la fin de la guerre (je crois que cette interdiction a duré 2 ans) et qu'il avait fondé une famille avec 3 enfants, Maria lui a dit : "je ne ferai jamais le malheur de tes enfants, il faut que l'on s'oublie et je te souhaite d'être heureux toute ta vie". Mon père lui a dit également qu'à la réflexion, il s'était rendu à l'évidence qu'ils n'auraient jamais été heureux parce qu'il y avait trop de haine dans les 2 pays. Ils se sont quittés tous les 2 avec un coeur ravagé.
Après avoir détaillé de façon très précise son histoire allemande, il a dit à Marie-Laurence : "Maria doit être morte maintenant". Marie-Laurence lui a répondu qu'il avait du toupet parce que Maria était plus jeune que lui ! Elle l'a convaincu d'accepter qu'elle en parle à ses fils. Elle lui a dit : Au vide de votre présence, vous allez rajouter de la tristesse dans le coeur de Jean-Paul parce qu'il n'aura pas pu en parler avec vous. Vous dites souvent que Jean-Paul est l'extension de vous-mêmes alors comment le prendriez-vous à sa place? A son grand étonnement, mon frère et moi avons très bien acceuilli cette histoire qui n'entâchait pas du tout son vécu avec notre mère.
Grâce à Internet, nous avons pu localiser la ferme et contacter la famille. C'est ainsi que nous avons appris que non seulement Maria était toujours vivante mais qu'elle habitait juste à côté de son neveu. Tous les jours nous avions des précisions sur la vie de Maria puisque sa nièce nous servait d'interprête. Mon père prenait goulûment tous les détails.
Maria avait la voix très douce et ses photos montraient une très jolie femme de 89 ans. Elle était comme une adolescente qui retrouvait son amour de jeunesse. Elle voulait venir voir mon père à la clinique mais ses neveux l'en ont dissuadée : trop de fatigue et ils avaient raison.
2 jours avant le grand départ de mon père, j'ai appelé Maria et je lui ai proposé de parler à mon père au téléphone. J'avais préparé mon texte sur un papier parce que je ne parle pas l'allemand et Maria m'a dit que je parlais l'allemand comme un dictionnaire. Elle était ravie et c'est donc 20 minutes plus tard qu'ils se sont parlé en allemand pendant plus d'une demie-heure. Ils avaient gardé vivant dans leur coeur ce premier grand amour et tous les deux savaient qu'ils devaient se quitter pour de bon.
A la fin de la conversation, Marie-Laurence était en larmes et nous étions tous très émus et mon père nous a dit : "c'est magique, c'est inespéré, je nage dans le bonheur. Vous avez entendu Maria me dire souvent : "mein Glück", cela signifie mon bonheur, ma chance, car elle m'appelait toujours ainsi en Allemagne. Elle venait travailler dur aux champs pour être près de moi alors qu'elle était universitaire à la ville. Elle chantait tout le temps". Cette belle histoire s'est donc terminée dans le bonheur.
Maria et mon père avaient surpassé les limitations relatives à ce monde, en établissant une véritable communication éthérée, spécialement pendant qu'ils s'affairaient en silence chacun dans son jardin.
C'est la raison pour laquelle mon père parlait parfaitement l'allemand à la fin de sa vie sans l'avoir pratiqué extérieurement pendant plusieurs décennies.
C'est là le type de communication éthérée que j'ai décrit dans mon analyse-interprétation du tableau de Léonard de Vinci : "La Joconde" encore appelée : "The Mona-Lisa".
Le lendemain de cette conversation, tout était accompli pour mon père. Il pouvait tourner la page de la vie. Epuisé, il ne pouvait plus parler mais il a caressé longuement nos mains avant de s'envoler. Il nous a toujours dit que Marie-Laurence et moi serions à ses côtés pour l'aider à partir. Son départ s'est fait dans une parfaite sérénité.
Nous étions tous heureux de le voir partir vers un monde qu'il avait choisi. En effet, il ne voulait pas être une charge pour Marie-Laurence qui donnait son temps pour s'occuper de lui et de ma mère et il a choisi tout simplement d'arrêter de manger et nous avons respecté son choix. Mon père reste gravé dans la mémoire des médecins qui se sont succédés à son chevet. Il est parti en parfaite santé.
Pour préserver ma mère, nous ne lui avons jamais raconté la véritable fin de vie de mon père. Elle n'aurait pas compris. Mon père nous avait dit : "Prenez bien soin de votre maman, car vous avez eu une très bonne mère et elle vous a bien élevés". Je le confirme.
Nous avons également essayé de combler le vide laissé dans le coeur de Maria en répondant au mieux à toutes ses questions sur mon père. Elle trouvait en moi la passerelle pour combler son coeur meurtri par la guerre. Elle m'appelait : "mon rêveur" .
Mariée à 40 ans, elle est devenue veuve un an plus tard. Elle n'a jamais eu d'enfants. Le jour de son décès en septembre 2019, ses neveux nous ont prévenus.
J'ai pensé que mon père aurait été heureux de savoir que nous avions donné aux 2 femmes de sa vie, toute l'attention dont elles avaient besoin. Elles sont parties toutes les 2 totalement apaisées et heureuses de quitter un monde qu'elles ne comprenaient plus.
Mon père disait toujours : "chez les Floch, on a une seule devise : "faire face et considérer que la vie est un cadeau même si c'est parfois difficile". Je le remercie de m'avoir inculqué ces valeurs qui m'ont été précieuses notamment dans mon combat pour défendre mon art. Je l'explique sur la biographie de ce site.
Précisions :
=> J'ai reproduit l'essentiel de la correspondance de mon père pendant la captivité , lettres adressées à ses parents
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Sachant que cela pouvait lui sauver la vie, il avait appris l'allemand en 3 mois. Il pouvait ainsi comprendre ce que les Allemands disaient et en informer les autres prisonniers.
Lors d'un comptage de prisonniers dans cette usine, il a profité d'une inspection par un colonel Allemand et s'est avancé, empoigné aussitôt par les gardes. Il a demandé à parler au Colonel, lequel l'a convoqué 1 heure après. Il lui a expliqué qu'il perdait son temps à fabriquer des soucoupes de porcelaine et qu'il pourrait se rendre plus utile en exerçant ses compétences civiles d'ingénieur agronome (ce qui était faux bien entendu mais il savait que les alliés ne bombarderaient pas la campagne).
Interrogatoire poussé : Où avait-il obtenu son diplôme, expérience etc..."A Alger" dit-il, sachant que les Allemands ne pouvaient pas vérifier.
Quelques jours plus tard, on lui confiait la gestion d'une grosse ferme. N'y connaissant strictement rien dans les travaux de la ferme, il a appris grâce à la complicité et la confiance de quelques prisonniers.
Il a réussi à faire passer une lettre à ses parents par un soldat allemand en permission et qui repartait à Bordeaux : "Nous étions logés dans l'usine à 50 mètres de la gare d'une ville de 30.000 habitants, au dessus d'un dépôt d'essence. Vous devinez tout de suite la suite...Nous avons déjà eu des alertes contre avions cet hiver et je me suis dit une chose : si déjà nous avons des alertes en janvier qu'est-ce que cela sera au mois de mai ! J'ai trop souffert des bombardements avant ma captivité, ça ne m'enchantait pas du tout. Et comme j'ai l'intention de revenir et de ne pas laisser ma peau dans ce triste pays, j'ai pris les devants et maintenant je suis délivré de cette obsession qui ne me quittait plus ".
Les prisonniers revenaient chaque soir à leur commando et le drapeau allemand flottait toute la journée sur le camp en haut d'un grand mât.
=> Le 14 juillet 1943, mon père a réussi à remplacer le drapeau allemand par le drapeau français. Tous les prisonniers pouffaient de rire et les Allemands s'en sont apperçu seulement le soir à la baissée du drapeau.
Mon père s'est dénoncé pour éviter de faire porter à d'autres les conséquences de son acte. Il a écopé de 3 semaines au cachot au régime eau + pain de seigle mélangé à la sciure de bois.
Une prisonnière russe (qui travaillait aux cuisines et qui a certainement apprécié la vénération de mon père pour son pays) a pris le gros risque de lui donner à manger toutes les nuits par le soupirail qui donnait sur la cour des femmes. C'est ainsi qu'il est ressorti en forme et sans que les Allemands ne se posent la moindre question. Des pitreries comme celles-là, il en a fait d'autres, d'où de multiples changements de commandos.
Le 26 mars 1945, du fait de l'avancée des Américains, il a été enfermé dans le camp Hammelburg au nord de la Bavière. Il était tellement intrépide que ses gardiens craignaient qu'il ne se venge des mauvais traitements qui lui avait été réservés. Ce camp a été libéré le 5 avril 1945.
Patton a ordonné personnellement d'aller libèrer les prisonniers US (dont son propre neveu) de l'OFLAG XIII B par une "special Task Force" et commandée par le captain Abraham J Baun.
Après sa libération, enrôlé dans l'armée américaine, il a participé à la libération de Buchenwald dont il a gardé un souvenir tenace jusqu'à la fin de sa vie.
Il a pris sous son aile 2 prisonniers français qui étaient notaire et pharmacien. Il a été frapper chez le Maire du village et a exigé qu'il sorte sa plus belle vaisselle et serve un vrai repas à ces prisonniers. Bien sûr, le Maire "n'était pas informé de ce qui se passait au camp!" Comme il y avait un piano dans le salon, il a également exigé que la fille joue du piano. Bien après cet épisode, le notaire et le pharmacien ont écrit une lettre à mon père pour le remercier vivement de leur avoir rendu leur dignité ce jour là.
Il a ensuite quitté le convoi américain pour rentrer à sa garnison de St Maixent car le comportement des américains vis à vis des femmes allemandes le révoltait.
Marie-Laurence, mon épouse, était son unique confidente et ils sont restés complices jusqu'à sa mort. Mon père lui disait souvent : "vous êtes la fille que je n'ai jamais eue".
En 1946, pendant son année à l'Ecole d'Officiers de St Cyr Coëtquidan où il avait été admis 4ème sur 96, il voulait fonder une famille et il a dit à Marie-Laurence : "J'ai rencontré une jolie femme blonde à Guer qui était la gentillesse même !" Ils se sont mariés le 29 octobre 1946 et mon frère est né un an après.
=> 8 jours avant sa mort en 2011, il a demandé à être hospitalisé à la clinique de Malestroit pour être près de nous. En partant de la maison, il a demandé si Marie-Laurence pouvait lui consacrer un long moment le lendemain car il voulait que ses fils apprennent son secret après son départ. Il a donc raconté son amour sans lendemains en Allemagne. Elle s'appelait Maria.
A la libération, alors que la garnison américaine était à une tentaine de km de la ferme des parents de Maria, il a demandé la permission de quitter un moment le campement. Permission refusée!
Mais l'envie de revoir sa bien aimée était trop forte. Il a pris un vélo et il a pédalé sous les bombes pour rejoindre Maria. A la nuit tombée, il est arrivé devant la ferme et il a vu le grand-père sur le pas de la porte. Il s'est alors transformé en statue de sel ! Incapable de traverser la route pour affronter les regards de la famille qui l'avait respecté pendant sa captivité. Il craignait d'y lire la haine qu'il voyait sur le visage des Allemands tout au long de la traversée des convois américains. Il ne pouvait pas l'affronter, et surtout il avait peur du regard de Maria. Il avait quitté cette famille en vaincu et il revenait en vainqueur! C'est donc le coeur déchiré qu'il a regagné difficilement le campement. Le sort avait frappé!
En 1957, il a voulu montrer à ses enfants les fermes où il avait travaillé pendant la guerre. Un après-midi pendant la sieste, il s'est éclipsé pour aller voir la ferme qui lui tenait tant à coeur. Maria était dans la cuisine et s'est élancée vers lui car elle croyait qu'il était venu la chercher. Elle l'avait attendu tout ce temps !
Lorsque mon père lui a expliqué que les militaires français n'avaient pas le droit de se marier avec des Allemandes à la fin de la guerre (je crois que cette interdiction a duré 2 ans) et qu'il avait fondé une famille avec 3 enfants, Maria lui a dit : "je ne ferai jamais le malheur de tes enfants, il faut que l'on s'oublie et je te souhaite d'être heureux toute ta vie". Mon père lui a dit également qu'à la réflexion, il s'était rendu à l'évidence qu'ils n'auraient jamais été heureux parce qu'il y avait trop de haine dans les 2 pays. Ils se sont quittés tous les 2 avec un coeur ravagé.
Après avoir détaillé de façon très précise son histoire allemande, il a dit à Marie-Laurence : "Maria doit être morte maintenant". Marie-Laurence lui a répondu qu'il avait du toupet parce que Maria était plus jeune que lui ! Elle l'a convaincu d'accepter qu'elle en parle à ses fils. Elle lui a dit : Au vide de votre présence, vous allez rajouter de la tristesse dans le coeur de Jean-Paul parce qu'il n'aura pas pu en parler avec vous. Vous dites souvent que Jean-Paul est l'extension de vous-mêmes alors comment le prendriez-vous à sa place? A son grand étonnement, mon frère et moi avons très bien acceuilli cette histoire qui n'entâchait pas du tout son vécu avec notre mère.
Grâce à Internet, nous avons pu localiser la ferme et contacter la famille. C'est ainsi que nous avons appris que non seulement Maria était toujours vivante mais qu'elle habitait juste à côté de son neveu. Tous les jours nous avions des précisions sur la vie de Maria puisque sa nièce nous servait d'interprête. Mon père prenait goulûment tous les détails.
Maria avait la voix très douce et ses photos montraient une très jolie femme de 89 ans. Elle était comme une adolescente qui retrouvait son amour de jeunesse. Elle voulait venir voir mon père à la clinique mais ses neveux l'en ont dissuadée : trop de fatigue et ils avaient raison.
2 jours avant le grand départ de mon père, j'ai appelé Maria et je lui ai proposé de parler à mon père au téléphone. J'avais préparé mon texte sur un papier parce que je ne parle pas l'allemand et Maria m'a dit que je parlais l'allemand comme un dictionnaire. Elle était ravie et c'est donc 20 minutes plus tard qu'ils se sont parlé en allemand pendant plus d'une demie-heure. Ils avaient gardé vivant dans leur coeur ce premier grand amour et tous les deux savaient qu'ils devaient se quitter pour de bon.
A la fin de la conversation, Marie-Laurence était en larmes et nous étions tous très émus et mon père nous a dit : "c'est magique, c'est inespéré, je nage dans le bonheur. Vous avez entendu Maria me dire souvent : "mein Glück", cela signifie mon bonheur, ma chance, car elle m'appelait toujours ainsi en Allemagne. Elle venait travailler dur aux champs pour être près de moi alors qu'elle était universitaire à la ville. Elle chantait tout le temps". Cette belle histoire s'est donc terminée dans le bonheur.
Maria et mon père avaient surpassé les limitations relatives à ce monde, en établissant une véritable communication éthérée, spécialement pendant qu'ils s'affairaient en silence chacun dans son jardin.
C'est la raison pour laquelle mon père parlait parfaitement l'allemand à la fin de sa vie sans l'avoir pratiqué extérieurement pendant plusieurs décennies.
C'est là le type de communication éthérée que j'ai décrit dans mon analyse-interprétation du tableau de Léonard de Vinci : "La Joconde" encore appelée : "The Mona-Lisa".
Le lendemain de cette conversation, tout était accompli pour mon père. Il pouvait tourner la page de la vie. Epuisé, il ne pouvait plus parler mais il a caressé longuement nos mains avant de s'envoler. Il nous a toujours dit que Marie-Laurence et moi serions à ses côtés pour l'aider à partir. Son départ s'est fait dans une parfaite sérénité.
Nous étions tous heureux de le voir partir vers un monde qu'il avait choisi. En effet, il ne voulait pas être une charge pour Marie-Laurence qui donnait son temps pour s'occuper de lui et de ma mère et il a choisi tout simplement d'arrêter de manger et nous avons respecté son choix. Mon père reste gravé dans la mémoire des médecins qui se sont succédés à son chevet. Il est parti en parfaite santé.
Pour préserver ma mère, nous ne lui avons jamais raconté la véritable fin de vie de mon père. Elle n'aurait pas compris. Mon père nous avait dit : "Prenez bien soin de votre maman, car vous avez eu une très bonne mère et elle vous a bien élevés". Je le confirme.
Nous avons également essayé de combler le vide laissé dans le coeur de Maria en répondant au mieux à toutes ses questions sur mon père. Elle trouvait en moi la passerelle pour combler son coeur meurtri par la guerre. Elle m'appelait : "mon rêveur" .
Mariée à 40 ans, elle est devenue veuve un an plus tard. Elle n'a jamais eu d'enfants. Le jour de son décès en septembre 2019, ses neveux nous ont prévenus.
J'ai pensé que mon père aurait été heureux de savoir que nous avions donné aux 2 femmes de sa vie, toute l'attention dont elles avaient besoin. Elles sont parties toutes les 2 totalement apaisées et heureuses de quitter un monde qu'elles ne comprenaient plus.
Mon père disait toujours : "chez les Floch, on a une seule devise : "faire face et considérer que la vie est un cadeau même si c'est parfois difficile". Je le remercie de m'avoir inculqué ces valeurs qui m'ont été précieuses notamment dans mon combat pour défendre mon art. Je l'explique sur la biographie de ce site.
Précisions :
=> J'ai reproduit l'essentiel de la correspondance de mon père pendant la captivité , lettres adressées à ses parents