Cérémonie de remise de la Légion d'Honneur
Depuis le décès de mon père le 27 mars 2011, j'ai retrouvé des lettres de militaires attestant de son grand engagement dans les combats de Juin 1940.
Mon père m'a raconté que lorsqu'à court de munitions et après un combat acharné son régiment s'est rendu, le général allemand (il avait reconnu le revers rouge de son manteau) a ordonné à ses troupes de faire une haie d'honneur aux prisonniers français.
Ceci explique la Légion d'Honneur à titre militaire qu'il a accepté en 2007 sous mon insistance alors qu'elle lui avait été proposée en 1963 sans qu'il l'accepte parce-qu'il savait qu'elle avait été donnée à des déserteurs qui s'étaient fait passer pour des héros. Mon père a toujours eu un grand sens de l'honneur.
(voir photos sur la gauche en cliquant sur les flèches).
Discours de mon père : Pierre Floch
- Guer : Vendredi 13 juillet 2007 :
Chers amis,
Je tiens tout d’abord à remercier les autorités civiles et militaires qui nous ont honorés de leur présence aujourd’hui.
Je remercie le Colonel Pelletier qui m’a fait l’honneur de me remettre la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. Il symbolise pour moi cette grande famille qu’est l’armée et qui m’a beaucoup apporté.
Je dois un merci tout particulier également à un camarade d’enfance (nous étions scouts ensemble), le Général André Garandeau, ancien élève de la 2ème promotion de l’ESMIA en 1946 comme moi, lui à la 8ème compagnie, moi à la 7ème compagnie, qui par amitié, est intervenu en ma faveur au Ministère de la Défense en Janvier dernier, afin de faciliter mon inscription sur la liste des nouveaux promus.
Il connaissait mon passé militaire, mes états de service, il savait que je remplissais les conditions puisque j’avais déjà été proposé par la Subdivision pour la légion d’honneur il y a plus de 40 ans, j’avais 45 ans à l’époque, et n’avais pas accepté pour des raisons personnelles, ayant été profondément choqué, pour ne pas dire scandalisé, par tout ce dont j’avais été témoin en 1940. Pour moi, à l’époque, la légion d’honneur avait perdu toute sa valeur. J’ai donc laissé tomber, y compris une proposition pour l’Ordre du Mérite il y a plus de 40 ans en 1965. Cette fois-ci, j’ai accepté pour faire plaisir à mon fils, Jean Paul.
Pour moi, aujourd’hui est un grand jour, je veux y associer tous ceux qui ont combattu en 1940, et je tiens à leur rendre l’hommage qui leur est dû. Cette croix de la légion d’honneur m’a été remise aujourd’hui à titre militaire.
Le 11 juin 1940, à Varennes sur Marne, j’ai pris le commandement d’une section de mitrailleuses du 47ème Régiment d’infanterie pour remplacer l’aspirant Vandalovski qui venait d’être grièvement blessé. J’étais jeune sous-officier d’active à l’époque, je venais d’avoir 22 ans, titulaire du Brevet de chef de section, j’avais été désigné par l’Ecole de St Maixent pour servir dans un régiment de réservistes de 29 ans.
J’avais entendu dire que les bretons étaient des durs. Je m’en suis aperçu sur place pendant les combats, et j’ai pu apprécier leur courage, leur détermination et leur sang-froid, face à des situations dangereuses, parfois tragiques, quelquefois même désespérées. Malgré nos lourdes pertes, ils ont toujours su conserver un moral exceptionnel. Ils ont combattu jusqu’à épuisement total de nos munitions.
Dans ma section, sur 35, les 2/3 étaient des cultivateurs. Ils ont su faire honneur à leur métier. Nous avons suivi l’exemple d’un jeune officier d’active qui commandait le point d’appui, le capitaine Jean Pfister, âgé de 29 ans, ancien St Cyrien, qui avec un certain panache, nous a montré par son attitude qu’un chef, un vrai chef, avait le sens de l’honneur, le sens du devoir et celui de la dignité. Le capitaine Pfister a tiré ses derniers coups de feu dans ma section, il a eu la chance comme moi de figurer parmi les rares survivants. Il a fait 5 ans de captivité dans un Oflag, moi, 5 ans dans un Stalag. Nous nous sommes retrouvés en 1945 à St Maixent où nous habitions.
Le capitaine Pfister dès son retour en France a tenu à faire un rapport au Ministère des Armées pour rendre compte de ce qui s’était passé exactement pendant la bataille de Varennes sur Marne les 11 et 12 juin 1940 et il est intervenu pour me faire obtenir une citation à l’ordre de l’Armée et la Croix de guerre avec palme. Je les ai reçues le 31 décembre 1946.
Personnellement, quand je me suis rendu, j’étais couvert de terre, je n’avais plus mes lunettes, ma gamelle aluminium avait été traversée de part en part par des éclats. J’ai eu la baraka, aujourd’hui, j’ai 89 ans et je suis toujours vivant.
J’ai eu beaucoup de chance, davantage que mon ami le sous-lieutenant Colas des Francs, séminariste, qui commandait la section de mitrailleuses voisine de la mienne, et qui est mort éventré sur une mitrailleuse après une attaque de stukas.
Je rappelle qu’entre le 15 Mai et le 15 Juin 1940, nous, armée française avons eu près de 100.000 morts en seulement un mois, un véritable carnage, suite à de nombreuses attaques aériennes et de très violents combats.
L’armée française a lâché dans la nature en Juin 1940 des hommes parfois et souvent sous-équipés, face à une force colossale qu’était l’Armée allemande, très organisée, dotée de moyens de destruction énormes, d’une puissante artillerie, d’une multitude de chars, et surtout, disposant d’une aviation lui assurant la maîtrise totale du ciel.
Depuis le début de la guerre, et pendant toutes les opérations auxquelles j’ai participé, je n’ai jamais vu un avion français ou anglais.
Les 11 et 12 Juin 1940, 2 jours seulement avant l’arrivée des troupes allemandes à Paris qui y sont entrées le 14 Juin, nous représentions la dernière ligne de défense et de résistance sur la Marne.
Nous avons été littéralement enfoncés, totalement submergés, et, à court de munitions, encerclés de toute part, sans plus aucun espoir de ravitaillement, nous avons dû nous rendre. Nous n’étions qu’une poignée de survivants.
Tous nos blessés et grands blessés ont pu être sauvés grâce à l’intervention du service de santé de l’armée allemande qui, aussitôt après les combats, a envoyé de nombreuses ambulances motorisées pour récupérer tous les blessés, allemands et français sans distinction, pour les diriger ensuite vers un hôpital militaire de campagne allemand.
Nous, voici quels étaient les moyens sanitaires dont nous disposions : Au niveau de la compagnie : Rien, puisque rien n’était prévu. Seulement à l’échelon du bataillon : un sous-lieutenant réserviste médecin, 6 infirmiers et 2 fourgons attelés par 2 chevaux avec mission : ramassage et évacuation des blessés. Nous, Armée française, comparés à l’Armée allemande, nous avions une guerre de retard.
Nous nous sommes retrouvés à près de 2 millions de prisonniers fin Juin en Allemagne. Plus des 3/4 n’avaient jamais tiré un coup de fusil, n’avaient jamais combattu. Pendant la débâcle, des unités entières, bataillons, escadrons, régiments ont été faits prisonniers, désarmés, sans combat.
Ils ont suivi les instructions et exécuté les ordres donnés par le Haut commandement, qui lui-même devait obéissance à des politiques, des civils, car en temps de guerre, c’est le pouvoir civil en place qui décide de l’orientation et de la conduite des opérations.
Mais nous ne sommes pas là aujourd’hui pour faire le procès des erreurs, des carences ou des incompétences, seule l’histoire jugera.
Cependant, nous ne devons pas incriminer, accabler et culpabiliser les anciens combattants de 1940. Ils ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens qui leur ont été donnés, ils ne sont pas responsables de la défaite.
Je pense à tous les réservistes qui m’accompagnaient, certains pères de famille, fauchés en pleine jeunesse à 29 ans, et qui, sans hésiter, nous ont donné une leçon de bravoure, de patriotisme pour la défense de nos libertés, ils méritent tous notre considération, la reconnaissance de la nation toute entière et toute notre affection.
C’est pourquoi aujourd’hui, 67 ans après, je suis fier de partager ma légion d’honneur avec eux. En leur mémoire, en leur honneur, avec une pensée particulière pour les nombreuses veuves et orphelins dont on ne parle plus, en leurs noms à toutes et à tous, survivants et disparus,
Je vous dis merci et merci de m’avoir écouté.
Pierre Floch le 13 Juillet 2007
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Mon père m'a raconté que lorsqu'à court de munitions et après un combat acharné son régiment s'est rendu, le général allemand (il avait reconnu le revers rouge de son manteau) a ordonné à ses troupes de faire une haie d'honneur aux prisonniers français.
Ceci explique la Légion d'Honneur à titre militaire qu'il a accepté en 2007 sous mon insistance alors qu'elle lui avait été proposée en 1963 sans qu'il l'accepte parce-qu'il savait qu'elle avait été donnée à des déserteurs qui s'étaient fait passer pour des héros. Mon père a toujours eu un grand sens de l'honneur.
(voir photos sur la gauche en cliquant sur les flèches).
Discours de mon père : Pierre Floch
- Guer : Vendredi 13 juillet 2007 :
Chers amis,
Je tiens tout d’abord à remercier les autorités civiles et militaires qui nous ont honorés de leur présence aujourd’hui.
Je remercie le Colonel Pelletier qui m’a fait l’honneur de me remettre la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. Il symbolise pour moi cette grande famille qu’est l’armée et qui m’a beaucoup apporté.
Je dois un merci tout particulier également à un camarade d’enfance (nous étions scouts ensemble), le Général André Garandeau, ancien élève de la 2ème promotion de l’ESMIA en 1946 comme moi, lui à la 8ème compagnie, moi à la 7ème compagnie, qui par amitié, est intervenu en ma faveur au Ministère de la Défense en Janvier dernier, afin de faciliter mon inscription sur la liste des nouveaux promus.
Il connaissait mon passé militaire, mes états de service, il savait que je remplissais les conditions puisque j’avais déjà été proposé par la Subdivision pour la légion d’honneur il y a plus de 40 ans, j’avais 45 ans à l’époque, et n’avais pas accepté pour des raisons personnelles, ayant été profondément choqué, pour ne pas dire scandalisé, par tout ce dont j’avais été témoin en 1940. Pour moi, à l’époque, la légion d’honneur avait perdu toute sa valeur. J’ai donc laissé tomber, y compris une proposition pour l’Ordre du Mérite il y a plus de 40 ans en 1965. Cette fois-ci, j’ai accepté pour faire plaisir à mon fils, Jean Paul.
Pour moi, aujourd’hui est un grand jour, je veux y associer tous ceux qui ont combattu en 1940, et je tiens à leur rendre l’hommage qui leur est dû. Cette croix de la légion d’honneur m’a été remise aujourd’hui à titre militaire.
Le 11 juin 1940, à Varennes sur Marne, j’ai pris le commandement d’une section de mitrailleuses du 47ème Régiment d’infanterie pour remplacer l’aspirant Vandalovski qui venait d’être grièvement blessé. J’étais jeune sous-officier d’active à l’époque, je venais d’avoir 22 ans, titulaire du Brevet de chef de section, j’avais été désigné par l’Ecole de St Maixent pour servir dans un régiment de réservistes de 29 ans.
J’avais entendu dire que les bretons étaient des durs. Je m’en suis aperçu sur place pendant les combats, et j’ai pu apprécier leur courage, leur détermination et leur sang-froid, face à des situations dangereuses, parfois tragiques, quelquefois même désespérées. Malgré nos lourdes pertes, ils ont toujours su conserver un moral exceptionnel. Ils ont combattu jusqu’à épuisement total de nos munitions.
Dans ma section, sur 35, les 2/3 étaient des cultivateurs. Ils ont su faire honneur à leur métier. Nous avons suivi l’exemple d’un jeune officier d’active qui commandait le point d’appui, le capitaine Jean Pfister, âgé de 29 ans, ancien St Cyrien, qui avec un certain panache, nous a montré par son attitude qu’un chef, un vrai chef, avait le sens de l’honneur, le sens du devoir et celui de la dignité. Le capitaine Pfister a tiré ses derniers coups de feu dans ma section, il a eu la chance comme moi de figurer parmi les rares survivants. Il a fait 5 ans de captivité dans un Oflag, moi, 5 ans dans un Stalag. Nous nous sommes retrouvés en 1945 à St Maixent où nous habitions.
Le capitaine Pfister dès son retour en France a tenu à faire un rapport au Ministère des Armées pour rendre compte de ce qui s’était passé exactement pendant la bataille de Varennes sur Marne les 11 et 12 juin 1940 et il est intervenu pour me faire obtenir une citation à l’ordre de l’Armée et la Croix de guerre avec palme. Je les ai reçues le 31 décembre 1946.
Personnellement, quand je me suis rendu, j’étais couvert de terre, je n’avais plus mes lunettes, ma gamelle aluminium avait été traversée de part en part par des éclats. J’ai eu la baraka, aujourd’hui, j’ai 89 ans et je suis toujours vivant.
J’ai eu beaucoup de chance, davantage que mon ami le sous-lieutenant Colas des Francs, séminariste, qui commandait la section de mitrailleuses voisine de la mienne, et qui est mort éventré sur une mitrailleuse après une attaque de stukas.
Je rappelle qu’entre le 15 Mai et le 15 Juin 1940, nous, armée française avons eu près de 100.000 morts en seulement un mois, un véritable carnage, suite à de nombreuses attaques aériennes et de très violents combats.
L’armée française a lâché dans la nature en Juin 1940 des hommes parfois et souvent sous-équipés, face à une force colossale qu’était l’Armée allemande, très organisée, dotée de moyens de destruction énormes, d’une puissante artillerie, d’une multitude de chars, et surtout, disposant d’une aviation lui assurant la maîtrise totale du ciel.
Depuis le début de la guerre, et pendant toutes les opérations auxquelles j’ai participé, je n’ai jamais vu un avion français ou anglais.
Les 11 et 12 Juin 1940, 2 jours seulement avant l’arrivée des troupes allemandes à Paris qui y sont entrées le 14 Juin, nous représentions la dernière ligne de défense et de résistance sur la Marne.
Nous avons été littéralement enfoncés, totalement submergés, et, à court de munitions, encerclés de toute part, sans plus aucun espoir de ravitaillement, nous avons dû nous rendre. Nous n’étions qu’une poignée de survivants.
Tous nos blessés et grands blessés ont pu être sauvés grâce à l’intervention du service de santé de l’armée allemande qui, aussitôt après les combats, a envoyé de nombreuses ambulances motorisées pour récupérer tous les blessés, allemands et français sans distinction, pour les diriger ensuite vers un hôpital militaire de campagne allemand.
Nous, voici quels étaient les moyens sanitaires dont nous disposions : Au niveau de la compagnie : Rien, puisque rien n’était prévu. Seulement à l’échelon du bataillon : un sous-lieutenant réserviste médecin, 6 infirmiers et 2 fourgons attelés par 2 chevaux avec mission : ramassage et évacuation des blessés. Nous, Armée française, comparés à l’Armée allemande, nous avions une guerre de retard.
Nous nous sommes retrouvés à près de 2 millions de prisonniers fin Juin en Allemagne. Plus des 3/4 n’avaient jamais tiré un coup de fusil, n’avaient jamais combattu. Pendant la débâcle, des unités entières, bataillons, escadrons, régiments ont été faits prisonniers, désarmés, sans combat.
Ils ont suivi les instructions et exécuté les ordres donnés par le Haut commandement, qui lui-même devait obéissance à des politiques, des civils, car en temps de guerre, c’est le pouvoir civil en place qui décide de l’orientation et de la conduite des opérations.
Mais nous ne sommes pas là aujourd’hui pour faire le procès des erreurs, des carences ou des incompétences, seule l’histoire jugera.
Cependant, nous ne devons pas incriminer, accabler et culpabiliser les anciens combattants de 1940. Ils ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens qui leur ont été donnés, ils ne sont pas responsables de la défaite.
Je pense à tous les réservistes qui m’accompagnaient, certains pères de famille, fauchés en pleine jeunesse à 29 ans, et qui, sans hésiter, nous ont donné une leçon de bravoure, de patriotisme pour la défense de nos libertés, ils méritent tous notre considération, la reconnaissance de la nation toute entière et toute notre affection.
C’est pourquoi aujourd’hui, 67 ans après, je suis fier de partager ma légion d’honneur avec eux. En leur mémoire, en leur honneur, avec une pensée particulière pour les nombreuses veuves et orphelins dont on ne parle plus, en leurs noms à toutes et à tous, survivants et disparus,
Je vous dis merci et merci de m’avoir écouté.
Pierre Floch le 13 Juillet 2007